« Rien de nouveau » ou timide « lueur d’espoir » : le rapport des États généraux de la justice ne convainc pas

Création : 20 juillet 2022
Dernière modification : 8 septembre 2022

Autrice :  Marie Jacquemard, rédactrice 

Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay

Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Charles Denis



Un rapport, fruit du travail de 50 000 citoyens et acteurs de la justice et censé construire « la justice de demain » selon les termes du ministère de la Justice, a été remis à Emmanuel Macron. Et c’est peu dire qu’il a déçu les spécialistes du monde de la justice.

Entre déception et lassitude, ce rapport des États généraux de la justice n’a pas reçu l’ovation qu’espérait le gouvernement. Il a été présenté vendredi 8 juillet au président de la République, mais il avait déjà fuité dans la presse depuis quelques semaines, ce qui a suscité le mécontentement des magistrats, les principaux concernés. « Un rapport trop long, un constat accablant d’une justice au bord du gouffre alors que les magistrats sont déjà désespérés, peu de propositions nouvelles, du déjà vu et entendu », ce bilan est celui de plusieurs professeurs de droit et journalistes que nous avons contacté et qui ont accepté de nous livrer leurs impressions sur ce rapport qui s’annonçait révolutionnaire. 

« Quel dommage ! »

« Quel dommage ! », c’est la première impression partagée par un grand nombre de magistrats, de professeurs de droit, d’avocats, de greffiers et du personnel des services pénitentiaires et autres. Ces professionnels du droit se sont sentis mis à l’écart dès le début de ces États généraux. Jusqu’à « la tribune des 3 000″ magistrats dans les pages du journal « Le Monde », la précarité de leurs conditions de travail n’était pas réellement prise au sérieux. Ils ont pourtant été parmi les derniers à avoir accès à ce rapport, qui avait déjà fuité dans la presse depuis quelques semaines. Déjà en 2019, les magistrats n’avaient été consultés que très superficiellement à l’occasion de la réforme de la justice annoncée par l’ancienne Garde des Sceaux, Nicole Belloubet. Ils n’avaient eu qu’une seule semaine pour prendre connaissance des textes et donner leurs avis. Puis la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire a été promulguée le 22 décembre 2021, à nouveau, sans les consulter. Pour la journaliste Olivia Dufour, responsable du développement éditorial du site Actu Juridique et qui a publié plusieurs livres sur la justice dont, en 2021, La justice en voie de déshumanisation (LGDJ, collection Forum, 24 €), il n’y a pas eu « de réelle consultation des professionnels de justice lors des réformes intervenues durant le premier quinquennat »

Et l’observatrice attentive du monde de la justice, de cingler : « il aurait suffi à l’occasion de la réforme portée par Nicole Belloubet de consulter les professionnels de la justice et on se serait épargné la dépense de temps et d’argent qu’ont représenté les États généraux ».

Mais la déception de ces magistrats est plus profonde et elle est surtout partagée par les chercheurs en droit spécialistes de la justice : « C’est difficile d’être déçu quand on ne s’attendait pas à grand-chose«  nous confiait le professeur Édouard Verny, chercheur à l’Institut de criminologie et de droit pénal de Paris (Université Paris 2 Panthéon-Assas), dubitatif lors de l’annonce de ces États généraux de la justice. Ce rapport semble être une opération de communication présidentielle. Il faut dire que ces États généraux tombent à point nommé, à la fin du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, à l’époque candidat pour être réélu président de la République. 

Ainsi les chercheurs en droit s’interrogent sur la pertinence de la création d’États généraux de la justice après la promulgation de la loi sur la confiance dans l’institution judiciaire en 2021. Ces États généraux ont pris beaucoup de temps aux participants pour dresser un tableau épouvantable de la justice. Pierre-Yves Gautier, professeur de droit privé à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas, reproche d’ailleurs à ce rapport de donner une image beaucoup trop sombre de la justice française. Certes, il faut réformer la justice mais la façon dont a été mené le procès des attentats du 13 novembre montre que « la justice fonctionne encore avec les moyens du bord ». Le professeur regrette également vigoureusement le manque de sociologie et d’humanité de ce rapport. Il rappelle que le droit n’est pas gouverné par des statistiques et des chiffres mais concerne des êtres humains. Pour lui, ce rapport est « caricatural et très détaché du terrain, c’est une méconnaissance de la réalité juridique ».

“Rien de nouveau”

« Rien de nouveau », pour Édouard Verny. Pourtant annoncés comme une grande entreprise des États généraux de la justice, le bilan et les propositions concernant la procédure pénale n’ont rien d’innovants. Bien que discuté depuis trente ans, le maintien du juge d’instruction était prévisible. Les politiques et praticiens du droit voulaient majoritairement le garder. C’est d’ailleurs ce que souligne la journaliste Olivia Dufour, « les auteurs du rapport se sont abstenus de toute proposition révolutionnaire. À raison sans doute, la justice est à bout, on ne bouleverse pas une institution au bord de la rupture, il faut d’abord la remettre debout ». Concernant la nomination des magistrats du parquet – les procureurs et avocats généraux – par le Conseil supérieur de la magistrature, le professeur Édouard Verny rappelle que cette proposition dort depuis trois ans dans les cartons de l’Assemblée nationale. L’ancienne Garde des Sceaux, Nicole Belloubet, avait déposé un projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique le 29 août 2019. Mais avec la nouvelle composition de l’Assemblée nationale, il sera plus compliqué d’obtenir un consensus car la procédure pénale est une matière éminemment politique. Alors quand les États généraux de la justice proposent de refonder le Code de procédure pénale, les chercheurs ne peuvent que l’encourager mais se questionnent. Par qui ? Comment ? 

Sans remettre en cause les membres et la qualité intellectuelle des travaux effectués par les groupes de travail et le comité, les professeurs Édouard Verny et Pierre-Yves Gautier confiaient aux Surligneurs à ce titre regretter le peu de place laissée aux chercheurs en droit dans ces États généraux de la justice, et la journaliste Olivia Dufour d’enfoncer le clou : « D’un côté on a refusé pendant 5 ans d’entendre les professionnels judiciaires, de l’autre on va demander à de simples citoyens sans compétence particulière en matière de justice quelles réformes ils souhaitent. C’est absurde. Pourquoi un tel manque de confiance vis-à-vis des personnes compétentes ? »

Pourtant les praticiens du droit, largement représentés, sont parties prenantes dans la procédure et y ont des intérêts antagonistes, contrairement aux universitaires qui sont plus neutres et risquent d’avoir un point de vue plus impartial. En effet, il est fort peu probable qu’avocats et policiers trouvent un compromis sur la procédure pénale dans laquelle ils ont chacun des intérêts très divergents : d’un côté le renforcement des droits de la défense, de l’autre l’augmentation des prérogatives des enquêteurs.

Pierre-Yves Gautier, d’ailleurs, s’offusque à la lecture de ce rapport et sur les propositions en matière de justice civile. Le rapport prône le « retour à la collégialité » alors qu’elle est déjà très présente. La réalité, cependant, est souvent différente. Dans certains tribunaux, par manque de moyens, on siège à deux juges au lieu des trois requis, et lorsque la collégialité est censée être de droit,  la juridiction attend en réalité qu’elle soit demandée par les parties. Pierre-Yves Gautier regrette pourtant l’image méprisante offerte du juge unique, qui « est nécessaire et effectue un travail remarquable dans un grand nombre de cas où le contentieux s’y prête ». En témoignent le juge aux affaires familiales, le juge des enfants, le juge des libertés et de la détention ou encore le juge de l’application des peines. Il déplore surtout le vocabulaire choisi pour parler de la justice française et ne comprend pas que l’on puisse dire que « les décisions de première instance seraient des galops d’essai » et sous-entendre que les jeunes magistrats ne sont pas capables de trancher correctement un litige et sont responsables du grand nombre d’appels. Bien que le rapport rappelle l’importance de la mise en état, le chercheur met en garde contre la justice numérique et déplore « la tentation de basculer vers l’électronique alors qu’il est essentiel que tout le monde soit présent à l’audience ». Il ajoute également que la mise en état doit rester dans la compétence du juge et ne doit pas être laissée au greffier. Il se dit enfin « choqué des lieux communs sur le langage judiciaire ». Il rappelle l’attachement des professionnels du droit au vocabulaire juridique. Enfin pour le professeur il n’y a que deux solutions aux maux de la justice, premièrement donner des moyens matériels, deuxièmement avoir une approche sociologique et revaloriser les professions du droit. 

Une lueur d’espoir ?

Le grand point positif de ce rapport souligné par ces experts du droit est la proposition d’une loi pluriannuelle sur 5 ans afin de recruter 1 500 magistrats. Ce qui ressort en premier lieu de ce rapport est le manque de moyens et de personnels dans la justice. Comme le préconise le professeur Pierre-Yves Gautier « il faut rendre son attrait à la profession de magistrat et donner envie aux étudiants d’exercer cette profession ». Il faut aussi reconnaître l’ampleur du travail effectué et de temps donné par les sept groupes de travail et le comité. Un atelier de convergence s’est déroulé fin janvier 2022 auquel ont participé tous les groupes de travail et les citoyens grâce à la plateforme « Parlons justice ». Comme le dit bien un chercheur ayant participé aux travaux des États généraux de la justice mais devant rester anonyme : « on peut comprendre la perplexité des magistrats mais il y a peut-être une chance à saisir ».

Mise à jour le 29 juillet 2022 à 9h20 : correction d’erreurs dans des dénominations de fonctions et ajout d’une précision sur la collégialité.

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