Réforme des retraites : rapide rappel des “griefs” contre la loi

Création : 14 avril 2023
Dernière modification : 17 avril 2023

Auteur : Clotilde Jégousse, rédactrice

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani et Loïc Héreng



C’est la décision de la dernière chance pour de nombreux Français descendus dans la rue depuis janvier dernier. Ce vendredi 14 avril, le Conseil constitutionnel statuera sur les quatre saisines dont la loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (PLFRSS) pour 2023, abritant la réforme des retraites, a fait l’objet. Une saisine dite “blanche”, sans grief, signée de la main de la Première ministre Elisabeth Borne, et trois recours déposés par les groupes NUPES et Rassemblement National à l’Assemblée, ainsi que des sénateurs de gauche. Ils demandent au Conseil de déclarer cette loi inconstitutionnelle, aussi bien pour des raisons de forme que de fond.

Les 21, 22 et 23 mars, trois courriers adressés à “Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Membres du Conseil constitutionnel” sont arrivés rue de Montpensier. Des recours par lesquels la gauche sénatoriale, la NUPES et le Rassemblement National tentent d’obtenir la censure du texte par le Conseil constitutionnel. Si les oppositions ont invoqué différents motifs, toutes insistent sur ce qui est, à leurs yeux, le “péché originel”: le choix du véhicule choisi par l’exécutif avec l’article 47-1. Le Conseil constitutionnel doit rendre ses décisions à 18h.

Un “véhicule législatif” inadapté et des “cavaliers sociaux”

C’est l’argument phare des signataires : le gouvernement a présenté un projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificatif (PLFSSR), destiné, comme son nom l’indique, à rectifier la loi de financement de la Sécurité sociale annuelle, votée en décembre 2022 (LFSS). Or, la voie d’une loi de financement rectificative de la Sécurité sociale – le fameux “véhicule législatif” dont font mention les juristes pour désigner le support d’une réforme – ne devrait pas pouvoir être empruntée pour réaliser une réforme sociale majeure. D’autant moins lorsque celle-ci “contient des mesures dont l’impact financier sur l’exercice en cours est négligeable, voire nul”, selon les députés de l’intergroupe NUPES, qui évoquent l’avis du Haut Conseil des finances publiques.

Par ailleurs, plusieurs mesures font figure de “cavaliers sociaux” selon les opposants, autrement dit des dispositions qui ne concernent pas la Sécurité sociale et n’ont donc pas leur place dans cette loi. C’est notamment le cas de l’index sénior : même si son application peut générer des recettes pour la branche vieillesse de la Sécurité sociale, il s’agit d’une ressource “trop incertaine”, selon le groupe Rassemblement National.

Un grief, ou reproche, qui concerne plusieurs mesures de la loi adoptée. C’est le cas de l’article 19, qui prévoit de fixer “les prévisions de charges du Fonds de solidarité vieillesse, lesquelles sont identiques à celles figurant dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023”, toujours selon le groupe RN. Les dispositions organisant la validation des périodes passées dix ans avant leur titularisation par certains agents publics. La constitution des fonds de prévention de l’usure professionnelle dédiés aux agents travaillant dans des établissements hospitaliers et médico-sociaux. Et la création de visites médicales pour les salariés de soixante ans exposés à trois facteurs de risques professionnels, selon les députés signataires de l’intergroupe NUPES.

Une procédure législative sous contraintes

En choisissant la voie de la LFRSS, le gouvernement a pu, en vertu de l’article 47-1 de la Constitution, enserrer le Parlement dans le délai constitutionnel de cinquante jours de débat maximum. Selon les députés du groupe NUPES, cette utilisation s’est fait “sans qu’aucune urgence de légiférer ne soit caractérisée, […] privant les assemblées parlementaires de l’étude d’impact qui aurait accompagnée un projet de loi”. Selon le groupe Rassemblement National, “En recourant à ce véhicule législatif, le Gouvernement a empêché le Parlement de disposer du temps suffisant pour exercer pleinement sa compétence de législateur”.

A cette contrainte de délai sur le Parlement se sont ajoutées celles des articles 38, 44 et 42 du règlement du Sénat, qui permettent de clôturer les débats, de donner la priorité d’examen à certains amendements et ainsi de bouleverser l’ordre de la discussion, et de limiter à un orateur par groupe les prises de parole lors des explications de vote. Il en serait résulté une convocation “inédite d’autant de leviers de procédure” qui aurait porté atteinte aux exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, selon les sénateurs signataires de la saisine. Enfin, l’article 44, alinéa 2 de la Constitution a été activé deux fois : il aurait permis au gouvernement de s’opposer à “l’examen d’amendements qui n’avaient pas été préalablement examinés par la commission saisie au fond”.

Le Parlement n’aurait pas disposé d’une information sincère

C’est une idée qui revient souvent dans les saisines de la NUPES et du Rassemblement National : le gouvernement aurait fourni au Parlement des informations trop peu précises, voire tronquées. L’article 10 de la réforme relatif à la revalorisation des petites pensions, par exemple, ne contiendrait pas d’évaluation d’impact par genre, explique la NUPES. Or, à la suite d’une “une demande d’information du député Jérôme Guedj auprès de la caisse nationale de l’assurance vieillesse, celle-ci a indiqué que 100 000 femmes par an verraient leur majoration de durée d’assurance annulée par le décalage de l’âge légal contre 75 000 auparavant.” Les députés et sénateurs se seraient-ils prononcés de la même manière en connaissance de ce chiffre ? Cela explique, selon les opposants, la “volonté [du gouvernement] de nuire à la clarté et à la sincérité des débats parlementaires”.

Le groupe Rassemblement National ajoute à cela une “importante variation des estimations fournies par le Gouvernement s’agissant de la revalorisation des petites pensions avec fixation de la retraite minimale à taux plein à 85 % du SMIC net. En l’espace de 2 mois, le nombre de Français concernés par ce dispositif a oscillé entre 2 millions et 10 000 personnes”, avant de conclure que “Le gouvernement a donc délivré une information incomplète au Parlement”.

Sur le fond : une atteinte à plusieurs principes constitutionnels selon la NUPES

Si le Conseil constitutionnel a été saisi sur la forme, le groupe NUPES lui demande aussi de se prononcer sur le fond. Ainsi, le texte contreviendrait au préambule de la Constitution de 1946. En particulier, l’article 10 de la réforme, contiendrait des “dispositions ayant pour conséquence d’annuler les effets compensatoires de mesures préexistantes destinées à corriger les inégalités entre les femmes et les hommes”, alors que le préambule de 1946 prévoit que “La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme”.

Aux yeux des quatre groupes signataires de la saisine de la NUPES, le report de l’âge légal devrait aussi être censuré par le Conseil constitutionnel. Il y aurait un lien direct entre celui-ci et la hausse du chômage parmi les séniors, qui résulterait en une violation de l’article 1er de la Constitution. Ce report de l’âge légal augmenterait également “de 14% le risque de mort avant la retraite pour les 20% les plus pauvres”, et contreviendrait ainsi à l’article 11 du préambule de 1946, qui prévoit que “tout être humain qui, en raison de son âge […] se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence”.

Le référendum d’initiative partagée en dernier recours

Enfin, les Sages de la rue de Montpensier doivent se prononcer sur la proposition de loi référendaire déposée par la gauche sénatoriale et les députés de la NUPES. Par ce référendum d’initiative partagée (RIP), les oppositions de gauche espèrent interdire la mise en place d’un âge de départ à la retraite supérieur à 62 ans. Cette procédure législative a été rendue possible par la révision constitutionnelle de 2008. Pour que le texte puisse être soumis au vote des Français, il doit être signé par au moins un cinquième des parlementaires (185) avant que sa recevabilité soit déterminée par le Conseil constitutionnel. Dès lors que ces deux conditions sont réunies, le texte doit réunir les signatures d’au moins 10% du corps électoral (4.8 millions) via une plateforme en ligne ouverte sur une période de neuf mois. Depuis sa mise en place en 2008, aucun RIP n’a jamais abouti.

Pour le constitutionnaliste Bastien François, cette proposition présenterait des fragilités dans la forme de sa rédaction. Elle pourrait ainsi être jugée irrecevable puisqu’elle ne propose pas de réforme : elle vise “à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans”, mais cela “reproduit le droit existant”. De crainte que le premier texte ne passe pas l’étape du Conseil constitutionnel, les parlementaires de gauche ont déposé jeudi soir au Sénat une nouvelle proposition de loi référendaire – laquelle intègre une mesure de financement.

Le Conseil constitutionnel a rarement été l’objet d’une telle attention. De nombreuses réserves ont été émises quant à la possibilité d’une censure du texte et notamment de l’article prévoyant le report de l’âge légal. Le constitutionnaliste Dominique Rousseau semble plus optimiste. Selon lui, le texte ne “devrait pas sortir intact de son examen par le Conseil constitutionnel”. Il n’écarte pas non plus l’hypothèse d’une censure totale de la loi, qui aurait, selon lui, “une force de légitimation supplémentaire du Conseil constitutionnel. Il se poserait en gardien des droits du Parlement, de l’équilibre des pouvoirs, d’une forme de démocratie qui associe la démocratie sociale – qui a manqué sur ce texte – avec la démocratie parlementaire”.

Beaucoup d’hypothèses, mais une certitude : la décision ne saurait tarder…

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