Réforme des retraites : “Nous demandons au président de la République de ne pas promulguer la loi”

Création : 21 mars 2023
Dernière modification : 26 mars 2023

Auteur : Guillaume Baticle, master de droit public, Université de Picardie Jules Verne

Relecteur : Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public, Université de Poitiers 

Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani et Yeni Daimallah

 

Source : Le Monde, 18 mars 2023

Même si le président de la République est hostile à une loi, il est obligé de la promulguer. Il peut toutefois la faire contrôler par le Conseil constitutionnel qui la censurera si elle est contraire à la Constitution.

Après l’utilisation du centième article 49 alinéa 3 de la Constitution en vue de faire adopter le projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificatif (PLFSS), portant réforme des retraites, des membres du collectif “Pacte du pouvoir de vivre” demandent au président de la République, en dernier recours, de ne pas promulguer la loi.

Pour qu’un projet ou une proposition de loi devienne une loi et entre en vigueur, l’adoption par le Parlement ne suffit pas. Le président de la République doit la promulguer (et ensuite elle doit être publiée au Journal officiel). La Constitution l’impose. Seul le Parlement, en sa qualité de législateur, peut créer et modifier la loi. Le Président n’étant pas détenteur de la fonction législative, il ne peut refuser de la promulguer. La loi est l’expression de la volonté générale et le Parlement en est le représentant.

La promulgation de la loi est toutefois suspendue si le Conseil constitutionnel est saisi pour contrôler le projet ou la proposition de loi. Il peut être saisi par le président de la République, le Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale, celui du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs. Le texte peut alors être censuré partiellement ou en totalité.

Le rôle du Président est ici, en tant que gardien de la Constitution, de veiller à ce que la loi ait suivi une procédure régulière jusqu’à son adoption. Il la valide donc en la promulguant, une fois que le Conseil constitutionnel, s’il a été saisi, l’aura contrôlée. Le Président ne pourra pas promulguer la loi si celle-ci a été censurée par le Conseil. Son rôle de gardien est toutefois symbolique. Le Président peut très bien promulguer une loi qui présente un caractère inconstitutionnel si le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi et n’a donc pas pu censurer le texte.

LE (FAUX) PRÉCÉDENT DE MITTERAND

Le président de la République peut être tenté de refuser de promulguer une loi s’il est hostile au texte qui a été adopté par le Parlement. Si ce n’est pas le cas de la réforme des retraites, la question s’est posée lors des cohabitations. Le parti du président de la République étant minoritaire à l’Assemblée nationale, le gouvernement issu du parti majoritaire lui imposait sa politique. En 1986, le Président François Mitterrand (PS) a refusé de signer les ordonnances de privatisation rédigées par le gouvernement et de la majorité de son Premier ministre Jacques Chirac (RPR). La majorité avait alors craint qu’il n’aille plus loin dans le “blocage” en refusant de promulguer les lois. Selon certains observateurs, le Président Mitterrand se serait alors toutefois exposé à un engagement de sa responsabilité devant la Haute Cour de Justice (devenue le Parlement réuni en Haute Cour en 2007).

Chez nos voisins luxembourgeois, il existe un précédent. Le grand-duc Henri, chef de l’État, avait refusé de signer une loi autorisant l’euthanasie. Il a alors fait modifier la Constitution par la Chambre des députés pour ce faire. Si le Président de la République française souhaitait ne pas promulguer une loi, il devrait faire de même et faire modifier la Constitution pour transformer l’obligation de promulguer en faculté. Cette modification paraît irréaliste dans des délais restreints (car la loi doit être promulguée dans les quinze jours), d’autant qu’elle accroîtrait encore plus le déséquilibre des pouvoirs entre législatif et exécutif et bouleverserait la conception de la Constitution de la Ve République qui est bien différente de celle du Luxembourg.

UNE AUTRE SOLUTION ?

Une autre possibilité pour que la loi n’entre pas en vigueur consisterait, pour le président de la République, de demander au gouvernement de ne pas l’appliquer en annonçant la préparation d’un nouveau texte. C’est ce que le Président Chirac a demandé à son gouvernement en 2006 après l’adoption de la loi “Contrat première embauche”. La promulgation a certes eu lieu, mais ses effets ont été suspendus. Dans le cas de la loi sur les retraites, dès lors qu’elle ne nécessite aucun décret d’application (elle s’applique par elle-même), il sera toutefois difficile de ne pas l’appliquer pour le gouvernement.

Le groupe “pacte du pouvoir de vivre”, auteur de la tribune, nous a répondu avoir en réalité appelé le président de la République “à retirer le projet à temps pour ne pas avoir à promulguer la loi”, autrement dit avant le vote sur les motions de censure déposées. Cela ne résultait pas du texte de la tribune, mais dont acte. C’est alors la Première ministre qui aurait dû être sollicitée et non le Président, pour qu’elle retire le projet de loi, et cela aurait en effet constitué une première dans l’histoire de la cinquième République.

Mise à jour le 22 mars 2023 à 1h09 : ajout de la réponse du groupe “pacte du pouvoir de vivre”. 

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