Réforme des retraites : le texte validé partiellement par le Conseil constitutionnel

Création : 14 avril 2023

Autrice : Juliette Bezat, journaliste

Autrice : Clotilde Jégousse, journaliste

Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit, chercheur au laboratoire VIP (Université Paris-Saclay)

La décision tant attendue du Conseil constitutionnel est enfin tombée. Si les neufs “sages” ont jugé conforme l’essentiel du texte de la réforme des retraites, ainsi que le véhicule législatif choisi par l’exécutif pour le porter, six de ses dispositions ont été censurées. Les juges se sont également prononcés sur les trois recours déposés respectivement par les députés de la NUPES, la gauche sénatoriale et le Rassemblement national. 

Ce vendredi 14 avril, le Conseil constitutionnel a statué sur les quatre saisines relatives à la loi de financement rectificative de la sécurité sociale qui abrite la réforme des retraites. Après près de trois semaines de délibération, les neufs juges ont validé partiellement la réforme et censuré six de ses dispositions, dont l’”index senior” et le “CDI sénior”. La proposition de loi référendaire déposée par la gauche parlementaire a également été censurée.

Un véhicule législatif jugé conforme : “Aucune exigence constitutionnelle n’a été méconnue par l’exécutif” 

Si le Conseil a reconnu que “l’utilisation combinée des procédures mise en œuvre a revêtu un caractère inhabituel”, il estime qu‘“aucune exigence constitutionnelle n’a été méconnue par l’exécutif”.

Dans le cas des trois saisines déposées par les parlementaires de l’opposition, le principal argument mis en avant était le recours de l’exécutif à l’article 47-1 de la Constitution. Le gouvernement a en effet présenté un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificatif (PLFSSR), destiné à rectifier la loi de financement de la sécurité sociale annuelle. Or, les oppositions – et plusieurs constitutionnalistes -, ont estimé que ce véhicule législatif ne devrait pas pouvoir être emprunté pour réaliser une réforme sociale majeure – et par ailleurs, “sans qu’aucune urgence de légiférer ne soit caractérisée” comme l’ont souligné les députés de la NUPES. D’autant moins lorsque celle-ci “contient des mesures dont l’impact financier sur l’exercice en cours est négligeable, voire nul”, selon les députés de l’intergroupe NUPES, évoquant l’avis du Haut Conseil des finances publiques.

Le Conseil a ainsi précisé que “le recours à un tel véhicule législatif n’est pas subordonné à l’urgence, à des circonstances exceptionnelles ou à un déséquilibre majeur des comptes sociaux” et “écarte le grief tiré de ce que le législateur aurait irrégulièrement eu recours à une loi de financement rectificative de la sécurité sociale”. 

Une application cumulative de nombreux leviers de procédures jugée inhabituelle mais pas inconstitutionnelle

Pour le Conseil constitutionnel, l’application cumulative de plusieurs procédures prévues par la Constitution et par les règlements des assemblées n’a pas porté d’atteinte substantielle aux exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.

Dans sa saisine, la gauche sénatoriale a dénoncé une “convocation inédite de leviers de procédure” qui aurait porté atteinte aux exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire à travers l’utilisation des articles  38, 44 et 42 du règlement du Sénat, qui permettent de clôturer les débats, de donner la priorité d’examen à certains amendements et ainsi de bouleverser l’ordre de la discussion, et de limiter à un orateur par groupe les prises de parole lors des explications de vote. Les parlementaires ont également dénoncé l’activation par deux fois du vote bloqué, lequel aurait permis au gouvernement de s’opposer à “l’examen d’amendements qui n’avaient pas été préalablement examinés par la commission saisie au fond”.

Or, le Conseil considère que l’utilisation combinée de ces procédures a certes revêtu un caractère “inhabituel” mais ne suffit pas pour autant à rendre “inconstitutionnel l’ensemble de la procédure législative”.

L’article prévoyant le report de l’âge légal à la retraite ne contrevient pas au préambule de la Constitution, contrairement à ce qu’avait défendu la NUPES

Si le Conseil constitutionnel a été saisi sur la forme, le groupe NUPES lui avait aussi demandé de se prononcer sur le fond. Les députés estiment en effet que le texte contreviendrait au préambule de la Constitution  de 1946. En cause, l’article 10 de la réforme qui prévoit le report de l’âge légal de soixante-deux à soixante-quatre ans et l’accélération du calendrier de relèvement de la durée d’assurance requise pour l’obtention d’une retraite à taux plein. Ce dernier contiendrait des “dispositions ayant pour conséquence d’annuler les effets compensatoires de mesures préexistantes destinées à corriger les inégalités entre les femmes et les hommes”, alors que le préambule de 1946 prévoit que “La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme”. Aux yeux des quatre groupes signataires de la saisine de la NUPES, le report de l’âge légal devrait aussi être censuré par le Conseil Constitutionnel. Il y aurait un lien direct entre celui-ci et la hausse du chômage parmi les séniors, qui résulterait en une violation de l’article 1er de la Constitution. Ce report de l’âge légal augmenterait également “de 14% le risque de mort avant la retraite pour les 20% les plus pauvres”, et contreviendrait ainsi à l’article 11 du préambule de 1946, qui prévoit que “tout être humain qui, en raison de son âge […] se trouve dans l’incapacité de travailler, a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence”.

Or, le Conseil a jugé que pour respecter cette exigence constitutionnelle et mettre en œuvre une politique de solidarité nationale en faveur des retraités, le législateur a la liberté de “choisir les modalités concrètes qui lui paraissent appropriées”. Dans le cas présent, le Conseil estime que le gouvernement “a entendu assurer l’équilibre financier du système de retraite par répartition” pour “en garantir la pérennité”.

Le Conseil constitutionnel a tenu à mieux justifier sa position tenant à laisser la liberté la plus large au Parlement, tant qu’il respecte l’objectif qu’il s’est fixé. Le Parlement “a notamment tenu compte de l’allongement de l’espérance de vie”, mais il a aussi “maintenu ou étendu des possibilités de retraite anticipée au bénéfice des personnes ayant eu des carrières longues, de celles ayant un taux d’incapacité de travail fixé par voie réglementaire ou encore des travailleurs handicapés” Et le Conseil constitutionnel de conclure : “Ce faisant, [le Parlement] a pris des mesures qui ne sont pas inappropriées au regard de l’objectif qu’il s’est fixé et n’a pas privé de garanties légales les exigences constitutionnelles précitées”.

L’index senior et le CDI senior invalidés pour des raisons de forme: 

Sans suspens, les dispositions prévoyant l’index senior – qui devait être obligatoire dès cette année pour les entreprises de 1000 salariés – et le CDI sénior ont été censurées.

Pour le Conseil constitutionnel, ces dispositions « n’ont, en 2023, pas d’effet ou un effet trop indirect sur les recettes des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement ». Elles ne peuvent donc pas se retrouver dans une loi de financement de la sécurité sociale et sont donc des « cavaliers sociaux ».

Quant au référendum d’initiative partagée, il a lui aussi été invalidé comme Les Surligneurs l’avaient déjà écrit, car au moment où la proposition a été déposée par les députés, l’âge de départ à la retraite était toujours de 62 ans, le RIP ne proposait donc aucune modification législative. Résultat, une seconde tentative de RIP est déjà en cours de dépôt, maintenant que l’âge est reculé à 64 dans la loi.

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