Matthieu Riegler, CC 3.0

Olivier Véran : “l’abrogation de la réforme des retraites n’est pas constitutionnelle”

Création : 30 mai 2023

Auteur : Guillaume Baticle, master de droit public, Université de Picardie Jules Verne

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Relecteurs : Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public, Université de Poitiers

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Liens d’intérêts : aucun 

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani et Yeni Daimallah

Source : France Info, 23 mai 2023

Pour que la proposition de loi LIOT puisse être discutée, votée puis promulguée, il faut qu’elle ne diminue pas les ressources publiques, et qu’elle n’aggrave pas une charge publique selon la Constitution. Mais le Conseil constitutionnel admet qu’une proposition de loi réduise des ressources, si cette réduction est compensée. Reste que les conditions sont strictes et sujettes à interprétation.

Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, réagit à la proposition de loi du groupe LIOT à l’Assemblée nationale abrogeant la réforme des retraites. Il déclare que la proposition de loi est contraire à la Constitution, en particulier son article 40 qui fixe la recevabilité financière d’une proposition de loi. Mais cela dépend de l‘interprétation que l’on peut en faire.

La recevabilité financière d’une proposition de loi : explication

L’article 40 de la Constitution prévoit que les propositions de lois ne sont pas recevables (c’est-à-dire qu’elles ne peuvent être discutées au Parlement) lorsque “leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique”. Cela signifie que lorsqu’une proposition de loi est déposée par un député ou un sénateur, sa recevabilité financière est examinée. Selon l’article 89 du règlement intérieur de l’assemblée, le ou la Présidente doit refuser le dépôt si la proposition méconnait l’article 40 de la Constitution, après consultation du président de la Commission des finances en cas de doute.

À noter que l’irrecevabilité peut être soulevée à n’importe quel moment de la procédure législative par le gouvernement ou un député contre une proposition ou contre un amendement proposé par un parlementaire. La recevabilité est alors examinée par le président de la Commission des finances, ou par son rapporteur général.

Toutefois, une proposition de loi réduisant les ressources – comme c’est le cas de la proposition de loi LIOT – peut être recevable, si elle prévoit une compensation – donc d’autres ressources – qui rééquilibre. Le Conseil constitutionnel a rendu possible cette hypothèse par une interprétation de l’article 40 favorable aux pouvoirs du Parlement. Mais il encadre strictement cette possibilité, en imposant “que la ressource destinée à compenser la diminution d’une ressource publique soit réelle, qu’elle bénéficie aux mêmes collectivités ou organismes que ceux au profit desquels est perçue la ressource qui fait l’objet d’une diminution et que la compensation soit immédiate”. C’est donc au cas par cas que la recevabilité financière d’une proposition est examinée par la Conseil constitutionnel, ce qui rend hasardeuse toute prévision quant à la décision qu’il prendrait si la proposition de loi LIOT devant être votée.

Pas d’irrecevabilité automatique 

Tant qu’une proposition n’a pas été déclarée irrecevable par le bureau de l’Assemblée nationale ou sa Présidente, elle peut être discutée et aller jusqu’au vote définitif. Cela signifie que la Présidente de l’Assemblée a validé le dépôt de la proposition, et ne souhaite pas invoquer l’article 40 en cours de procédure. Pour y faire échec, le gouvernement ou un député du parti présidentiel doit lui-même soulever l’irrecevabilité et saisir la Commission des finances de l’Assemblée, ce qui a d’ailleurs été fait. Mais le président de cette commission est ouvertement opposé à la réforme des retraites, il est peu probable qu’il déclare la proposition de loi irrecevable. À ce stade, la mécanique est essentiellement politique.

De plus, la proposition de loi du groupe LIOT prévoit de compenser la perte des ressources en majorant la taxe sur les tabacs : il faudra déterminer dans quelle mesure cette compensation est réelle, et rend le texte conforme à la Constitution…

Et si la loi était votée malgré l’irrecevabilité financière ?

Si toutefois la proposition de loi LIOT était adoptée par le Parlement, c’est-à-dire par l’Assemblée nationale et le Sénat en des termes identiques, le Conseil constitutionnel pourrait être saisi avant la promulgation par le Président de la République. Il lui appartiendrait alors de statuer sur la conformité du texte à la Constitution, en examinant entre autres sa recevabilité financière. Si le texte est contraire à l’article 40 de la Constitution, il sera censuré et n’entrera pas en vigueur. Notons qu’en 1961, le Conseil avait en partie censuré un texte, pourtant adopté par le Parlement, qui étendait le bénéfice de l’assurance maladie aux familles des exploitants agricoles (alors qu’il ne bénéficiait qu’aux exploitants eux-mêmes), ce qui risquait d’aggraver les dépenses publiques.

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