Les mandats d’arrêt de la CPI à l’encontre du président russe et de la commissaire russe aux droits de l’enfant : un coup d’épée dans l’eau ?

Création : 23 mars 2023
Dernière modification : 30 mars 2023

Autrices : Catherine Maia, professeure de droit international, Université Lusófona – Centro Universitário do Porto, Sciences Po Paris

Kadidiatou Hama, docteure en droit, Université de Bourgogne 

Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng, Emma Cacciamani et Yeni Daimallah

 

Dans le cadre de l’enquête ouverte il y a un an sur d’éventuels crimes relevant de sa compétence commis en Ukraine depuis l’offensive militaire russe du 24 février 2022, la Cour pénale internationale (CPI) a émis, le 17 mars, deux mandats d’arrêt : l’un contre le président russe, Vladimir Poutine, l’autre contre la commissaire présidentielle aux droits de l’enfant en Russie, Maria Alekseyevna Lvova-Belova. Tous deux sont accusés de crimes de guerre consistant dans la déportation et le transfert illégaux d’enfants ukrainiens des régions occupées de l’Ukraine vers la Fédération de Russie, en violation des articles 8(2)(a)(vii) et 8(2)(b)(viii) du Statut de Rome.

L’ACCUSATION DE DÉPORTATION ET DE TRANSFERT ILLÉGAUX D’ENFANTS UKRAINIENS

L’émission de ces mandats d’arrêt fait suite à la demande du Bureau du Procureur de la CPI présentée le 22 février dernier. Sur la base des éléments de preuve recueillis et analysés par le Bureau du Procureur, la Chambre préliminaire II a ainsi confirmé l’existence de motifs raisonnables permettant de croire que le président russe et la commissaire russe aux droits de l’enfant (devenue l’image publique du programme de déportation d’enfants ukrainiens en Russie) portent une responsabilité pénale individuelle dans ces crimes de guerre. Le président russe est notamment accusé, d’une part, d’avoir commis les actes directement, conjointement avec d’autres et/ou par l’intermédiaire d’autres personnes (article 25(3)(a) du Statut de Rome), d’autre part, de n’avoir pas exercé un contrôle approprié sur les subordonnés civils et militaires qui ont commis les actes, ou permis leur commission, et qui étaient sous son autorité et son contrôle effectifs, en vertu de la responsabilité des supérieurs (article 28(b) du Statut de Rome).

Dans sa déclaration du 17 mars, le Procureur de la CPI, Karim Khan, a indiqué avoir identifié la déportation de plusieurs centaines d’enfants enlevés à des orphelinats et à des maisons d’accueil pour enfants, lesquels auraient été donnés à l’adoption en Russie, où la loi a été modifiée pour accélérer l’octroi de la citoyenneté russe et, ainsi, faciliter leur adoption par des familles russes. De tels actes de déportation, qui auraient débuté dès 2014, auraient été commis alors que les enfants ukrainiens étaient des personnes protégées en vertu de la quatrième Convention de Genève de 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre.

À cet égard, le Procureur de la CPI avait déclaré, dès septembre dernier, que les allégations d’enlèvements d’enfants ukrainiens et leur déportation vers des centres de rééducation en Russie, où ils seraient soumis à un processus de “russification”, faisaient l’objet d’une enquête prioritaire, les enfants ne pouvant pas être traités comme un butin de guerre et exigeant une action urgente.

LA DÉLICATE MISE EN OEUVRE DES MANDATS D’ARRÊT DE LA CPI

Reste à savoir quels seront les effets de l’émission de ces mandats d’arrêt par la CPI. Ni la Russie, ni l’Ukraine ne sont des États parties au Statut de Rome instituant la CPI. La Russie a signé le Statut de Rome en 2000, mais ne l’a pas ratifié. En 2016, elle a ensuite émis une déclaration par laquelle elle a fait savoir qu’elle n’avait pas l’intention d’être membre de la CPI, à la suite de l’ouverture d’une enquête de cette juridiction sur la guerre de 2008 en Géorgie. L’Ukraine a néanmoins accepté la compétence de la CPI sur son territoire au titre de l’article 12-3 du Statut de Rome. Dès lors, si Vladimir Poutine ou Maria Alekseyevna Lvova-Belova, qui sont visés par des mandats d’arrêt de la CPI, voyagent dans l’un des 123 États parties au Statut de Rome, ce dernier sera tenu de l’arrêter et l’envoyer à La Haye, où siège la CPI. La question pourrait se poser de manière concrète en août prochain, puisque l’Afrique du Sud, qui a ratifié le Statut de Rome en 2000, accueillera sur son sol le 15e sommet des BRICS (Afrique du Sud, Brésil, Chine, Inde, Russie).

La pratique nous démontre toutefois que les chances sont minces d’aboutir à des arrestations, même dans des situations de renvois par le Conseil de sécurité comme celle du Darfour (Soudan). Ainsi, dans le cas de l’ancien président soudanais Omar Al Bashir — premier chef d’État en exercice recherché par la CPI et première personne à être poursuivie par la CPI pour le crime de génocide — aucun des deux mandats d’arrêt délivrés à son encontre n’a été exécuté. Il a pu se rendre dans plusieurs États africains, y compris des États parties à la CPI, sans jamais être inquiété. Renversé par un coup d’État en 2019 et jugé par les juridictions de son propre pays pour corruption, meurtres de manifestants et coup d’État, il n’a pas été remis à la CPI. 

La situation de l’Ukraine n’ayant pas fait l’objet d’un renvoi par une résolution du Conseil de sécurité, mais par des États parties, il n’est pas certain que les autres États accepteraient de passer outre l’immunité coutumière dont bénéficie tout chef d’État en exercice d’un pays tiers au Statut de Rome, sauf hypothèse hautement improbable où la Russie renoncerait expressément à l’immunité de celui-ci. À cet égard, rappelons que si l’article 27 du Statut de Rome écarte toute immunité, cette disposition ne vaut pas pour les États tiers dont les personnes possédant une qualité officielle bénéficient d’une immunité coutumière, comme l’a reconnu la Cour internationale de Justice dans son arrêt de 2002 rendu dans l’affaire du Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique).

LA TOUT AUSSI DÉLICATE MISE EN OEUVRE DE LA COMPÉTENCE UNIVERSELLE

Par ailleurs, la CPI n’est pas la seule à avoir compétence en matière de crimes de guerre. Conformément au principe de complémentarité de la CPI, selon lequel les États conservent une compétence prioritaire pour juger les auteurs de crimes internationaux visés par le Statut de Rome, une autre voie possible est celle des tribunaux pénaux nationaux. Outre les tribunaux en Ukraine — territoire sur lequel ont eu lieu les déportations alléguées et pays de la nationalité des victimes présumées — les tribunaux dont les États reconnaissent la compétence universelle pourraient également être compétents. Ce mécanisme permet notamment à un État de juger toute violation grave du droit international humanitaire, même lorsque celle-ci n’a pas été commise sur son territoire, qu’elle a été commise par une personne étrangère et à l’encontre d’une victime étrangère, autrement dit indépendamment du lieu où le crime a été perpétré et de la nationalité des auteurs et des victimes.

À cet égard, il est intéressant de relever que le communiqué de presse de la CPI du 17 mars fait référence à l’article 8(2)(a)(vii) du Statut de Rome concernant la déportation ou le transfert illégaux. Il s’agit là d’une infraction grave prévue à l’article 147 de la quatrième Convention de Genève de 1949, ratifiée tant par la Russie que par l’Ukraine. Cela signifie que, s’agissant de ce crime, la compétence universelle pourrait être mise en oeuvre devant les tribunaux nationaux. Vladimir Poutine pourrait, dès lors, être arrêté dans n’importe quel pays du monde, les Conventions de Genève de 1949 ayant fait l’objet d’une ratification universelle.

Cependant, là encore, on peut être sceptique quant à la mise en œuvre de ce mécanisme. Non seulement la compétence universelle est soumise à plus ou moins de conditions selon les codes pénaux nationaux, mais elle suppose, d’abord, que l’accusé se trouve sur le territoire d’un État dont les tribunaux seraient saisis par des victimes (dit “État du for”) pour y être arrêté et jugé et, ensuite, qu’il ne bénéficie pas d’une immunité liée à ses fonctions officielles conformément au droit international coutumier. 

Dans le cas de Vladimir Poutine, chef d’État en exercice de la Russie, celui-ci bénéficie d’une immunité coutumière personnelle ou ratione personae (couvrant les actes accomplis à titre officiel et privé), qui le met à l’abri de toutes poursuites par une juridiction étrangère pendant toute la durée de son mandat. S’agissant de crimes de guerre, par nature imprescriptibles, ce n’est qu’après son mandat que des poursuites pourraient être envisagées. Certains États refusent, en effet, toute immunité matérielle ou ratione materiae (couvrant uniquement les actes accomplis à titre officiel) en ce qui concerne des crimes internationaux, car considérés comme ne correspondant pas aux fonctions étatiques normales. Cependant, à moins que la Russie juge elle-même son chef d’État — hypothèse hautement improbable —, on voit mal un autre État entamer de telles poursuites, mettant en cause, rappelons-le, le dirigeant de la deuxième puissance militaire mondiale et de la première puissance nucléaire mondiale.

UN PROCÈS PEU PROBABLE, MAIS UN PRÉCÉDENT À FORTE VALEUR SYMBOLIQUE

Pour l’heure, il est possible de dire que les mandats d’arrêts émis par la CPI, dont l’exécution dépend étroitement de la coopération des États faute d’une police propre à cette juridiction, ont pour effet de faire des personnes visées des parias de la communauté internationale. Ils rendront plus difficiles leurs déplacements futurs — du moins dans les États parties au Statut de Rome —, puisque tout voyage impliquera un risque d’arrestation. Ce ne sera sans doute pas de nature à impressionner Vladimir Poutine.

Sans surprise, la Russie a immédiatement dénié toute valeur juridique aux mandats d’arrêt. La Russie, comme un certain nombre d’États, ne reconnaît pas la compétence de la CPI. Par conséquent, du point de vue de la loi russe, les décisions de ce tribunal sont “nulles et non avenues”, a déclaré Dmitri Peskov, porte-parole du président russe. “La Cour pénale internationale a émis un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine. Pas besoin d’expliquer où ce papier doit être utilisé”, a écrit en anglais l’ex-président russe, Dmitri Medvedev, sur son compte Twitter, terminant son message par un émoticône de papier toilette. Plus encore, la Russie a annoncé, le 20 mars, l’ouverture d’une enquête pénale contre le Procureur et trois juges de la CPI arguant de l’illégalité des mandats d’arrêt violant l’immunité absolue du président russe.

S’il demeure peu probable que le Vladimir Poutine prenne un jour place sur le banc des accusés de la CPI, laquelle ne peut juger par contumace, il n’en demeure pas moins que cette juridiction a voulu frapper fort dans le dossier ukrainien en délivrant un mandat d’arrêt à l’encontre d’un chef d’État en exercice et à la tête d’un pays qui est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies. Ce fait, sans précédent, posera indéniablement le problème du sort d’un tel mandat quand viendra le temps de négocier la paix.


Le 30/03/2023, l’autrice a ajouté un paragraphe précisant : “À cet égard, rappelons que si l’article 27 du Statut de Rome écarte toute immunité, cette disposition ne vaut pas pour les États tiers dont les personnes possédant une qualité officielle bénéficient d’une immunité coutumière, comme l’a reconnu la Cour internationale de Justice dans son arrêt de 2002 rendu dans l’affaire du Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique).”

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