L’effet des réseaux sociaux sur l’information : interview d’un conseil en communication stratégique

Création : 11 janvier 2023
Dernière modification : 23 janvier 2023

Propos recueillis par Tania Racho, docteure en droit européen, chercheuse associée à l’IEDP, Université Paris-Saclay

Secrétariat de rédaction :  Loïc Héreng et Emma Cacciamani

Crédit photo : Tous droits réservés Sébastien Rouichi-Gallot

Sébastien Rouichi-Gallot a créé une société de conseil en communication stratégique et relations publiques avec son entreprise Citizens. L’occasion d’échanger sur les effets de la rapidité actuelle de l’information.

 

Les Surligneurs : Quelles conséquences emportent la rapidité de la circulation de l’information ?

Sébastien Rouichi-Gallot : Il y a des conséquences positives et négatives. Positive car la rapidité de l’information et sa densité sont un levier d’amplification conséquent de la  communication. Négative car elle expose l’entreprise à de potentielles opérations de désinformation. La question qui se pose est de savoir comment les anticiper pour mieux les déjouer. Réagir à l’actualité peut être un besoin impérieux, mais bien souvent, c’est une envie irrépressible à contenir. Il y a par ailleurs un aspect juridique à ne pas négliger en pesant les mots qui sont utilisés, particulièrement en France. Aux États-Unis au contraire, la notion de “liberté d’expression” diffère, comme le montre l’épisode Elon Musk avec Twitter, réseau pour lequel il souhaite une totale liberté. Il faut donc chercher un équilibre, ne pas intervenir à tout prix. Ainsi, un retour à la sacralité et la rareté de l’information sont importants.

Notamment lorsque l’information n’est pas maîtrisée, la rapidité augmente le risque d’erreur

Il peut y avoir des conséquences négatives liées à la rapidité de diffusion de l’information. Notamment lorsque l’information n’est pas maîtrisée, la rapidité augmente le risque d’erreur. L’information a besoin d’être vérifiée, comme le mot “présumé” qui manque encore parfois aux journalistes dans les réactions à chaud. Il faut trouver comment occuper l’échiquier de l’information sans que cela ne pose d’obstacle à la justice, notamment en pénal où il y a une interdiction de commentaire par voie de presse.

Les Surligneurs : Justement, peut-on anticiper l’amplification d’une information ? 

Sébastien Rouichi-Gallot : Ce qui fait le succès d’une information relayée, c’est un sujet qui confronte plusieurs échiquiers : sociétaux, politiques et économiques. Prenons l’exemple de l’émission “Touche pas à mon poste” avec l’échange musclé entre Cyril Hanouna et Louis Boyard. Il s’agit à la fois de politique (Louis Boyard est député), de société (le sujet initial mentionne les questions de migrations) et d’intérêts économiques (c’est Bolloré qui est pointé du doigt). Il y a tous les éléments pour que l’affaire soit reprise. 

Le rôle d’un cabinet-conseil dans ces affaires n’est pas de donner un avis sur les combats sociétaux mais de proposer des arguments pour les médias et réseaux, de créer du dialogue et de peser dans l’équilibre. La complication vient souvent des réseaux sociaux car il y a une forme de dictature du message le plus fort, à la tournure assassine et radicale, quand le doute et la nuance préservent le débat public.

Les Surligneurs : Les utilisateurs des réseaux sociaux, possibles lanceurs d’alerte avant que la justice ne puisse intervenir ? Comment gérer cette relation entre diffusion de l’information et justice ? 

C’est le cas par exemple de #Metoo : à la fois libérateur et accusateur

Sébastien Rouichi-Gallot : Les réseaux sociaux ont révélé de nouvelles possibilités d’accusation. C’est le cas par exemple de #Metoo : à la fois libérateur et accusateur. Les dynamiques de “hashtags” sont d’ailleurs intéressantes, comme le montre aussi l’exemple Black Lives Matter. Le hashtag a entraîné une amplification et des logiques identitaires de rassemblement. 

La rapidité de l’information emporte souvent des critiques vis-à-vis de la justice : le tribunal de l’opinion ne s’embarrasse pas de la lenteur de la justice, il y a un sentiment d’impunité. L’affaire Johnny Depp/Amber Heard a montré qu’une campagne de communication massive pouvait influencer le procès. Plus précisément, des vidéos en défaveur d’Amber Heard ont été largement partagées sur Instagram, en la montrant avec un discours incohérent. Ce n’était pas de la désinformation mais des extraits précis mis à la loupe et davantage relayés. Il y a alors eu un renversement conséquent de l’opinion publique, Johnny Depp ayant aussitôt de nouveau enchaîné les contrats cinématographiques et publicitaires.

Dans un autre registre, les activistes écologistes qui jettent de la soupe sur des œuvres savent que leur action sera énormément relayée et très rapidement ; si l’action se déroule dans la violence, pour être délogés par exemple, ils savent que cela aura encore plus de répercussions. 

Les Surligneurs : Il y a donc le temps de l’information à l’ère des réseaux sociaux et le temps de la justice, qui ne peut pas et ne doit pas être accéléré, comment concilier tout ça ? 

Entre ces deux temps, il y a une bataille de l’influence et d’occupation de l’espace.

Sébastien Rouichi-Gallot : Entre ces deux temps, il y a une bataille de l’influence et d’occupation de l’espace. C’est donc essentiel de reprendre le contrôle du temps lorsqu’on est en communication de crise. Il ne faut pas confondre le temps long de la réflexion et le temps lent de la justice. Les deux seront de toute façon confrontés à l’immédiateté des réseaux sociaux. Il est impossible d’aller plus vite que les réseaux sociaux. Le temps long permet une mise en perspective et prospective, pour considérer différentes issues. C’est là que les communicants sont utiles pour anticiper et réfléchir à ces scénarios. Le conseil est d’être dans la pro-activité plutôt que l’hyperréactivité, autrement dit il vaut mieux ne pas avoir de feu que de l’éteindre. Et pour ce faire, en amont, de faire du tapissage informationnel.

Cette intervention s’inscrit dans l’accompagnement de dirigeants et la sanctuarisation des vérités, l’objectif étant de donner une place aux vérités des clients, de la justice ensuite de sélectionner la vérité qu’il convient, possiblement à mi-chemin.

Le gros du travail se joue en amont. Il est ensuite possible d’élaborer ensuite une stratégie de défense car la communication peut servir à inverser les rapports de force pour reprendre la maîtrise de son environnement. Il s’agit alors de persuader les hésitants, contraindre les passifs à agir en libérant la parole et dissuader les contradictoires, c’est-à-dire paralyser des opposants et neutraliser des adversaires. Nous gardons la logique de tribunal avec une personne qui gagne et une qui perd. D’ailleurs les avocats et communicants sont souvent appelés trop tard, quand il y a déjà un problème, alors que les deux agissent en conseil avant, pendant, et après.

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