L’écharpe sans s’écharper

Monsieur Bailly, maire de Paris, présentant au roi les Clefs de la Ville à la barrière de la Conférence, le 17 juillet 1789. Paris, musée Carnavalet. CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet
Création : 18 juillet 2023

Auteur : Thierry Meneau, enseignant en histoire du droit, Université Paris-Saclay

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay 

Secrétariat de rédaction : Yeni Daimallah et Emma Cacciamani

Le mois de juin est traditionnellement reconnu comme “le mois des fiertés”. Aussi, le samedi 4 juin 2023, l’hôtel de ville de Lyon accueille le bal des fiertés. 

Le maire écologiste Grégory Doucet arbore à cette occasion une écharpe arc-en-ciel (qui se décline sur le modèle du drapeau qui a été créé par Gilbert Baker en 1978, représentant à la manière d’un arc-en-ciel les diversités de la communauté LGBT), et non la traditionnelle écharpe tricolore. Ce choix fait l’objet d’une critique véhémente des élus de l’opposition, pour qui le port de l’écharpe tricolore est obligatoire.

La question du port d’un insigne, d’un accessoire vestimentaire, d’un costume est une question récurrente tout au long des siècles. Ces éléments ont une fonction symbolique primordiale en ce qu’ils permettent d’identifier une personne, et ainsi de marquer son autorité. Le droit s’y intéresse lorsqu’il en prescrit le port ou lorsqu’il le proscrit. 

Une législation foisonnante

On observe sur ce thème une législation prolixe tout au long des siècles. Dès 1790, l’article 3 du décret du 20 mars indiquait “lorsque le maire et les officiers municipaux seront en fonction, ils porteront pour marque distinctive, par-dessus leur habit et en baudrier, une écharpe aux trois couleurs de la nation, bleu, rouge et blanc, attachée d’un nœud, et ornée d’une frange couleur d’or pour le maire…”. Le préambule du décret du 1er-20 mars 1852 du président de la République française “relatif au costume des fonctionnaires administratifs, des employés du ministère de l’intérieur ou des administrations qui en dépendent” fait mention des textes antérieurs et notamment des arrêtés des consuls, en date du 17 ventôse, 17 floréal et 8 messidor an VIII. Il mentionne également les décrets des 28 floréal et 29 messidor an XII et les ordonnances du 4 juin 1814, le tout étant relatif aux costumes des corps de l’État et des hauts fonctionnaires. Le texte comporte un règlement qui en donne les indications précises sur le costume du maire (paragraphe 1, alinéa 5) : habit bleu, broderie en argent, branche d’olivier au collet, parements et taille, baguette au bord de l’habit ; gilet blanc ; chapeau français à plumes noires, ganse brodée en argent ; épée argentée à poignée de nacre ; écharpe tricolore avec glands à franges d’or ; petite tenue : même broderie au collet et parements. L’article 2 rendait obligatoire “pour les fonctionnaires de l’ordre administratif dans les cérémonies publiques, et toutes les fois que l’exercice de leurs fonctions peut rendre nécessaire ce signe distinctif de leur autorité”. L’article 3 venait réprimer l’usurpation de signes réservés à l’autorité publique. 

Le respect de l’obligation de port de l’écharpe

Sous le décret de 1852, la justice va veiller tout particulièrement au respect de l’obligation de port de l’écharpe ainsi que le montre le jugement du tribunal correctionnel de Marvejols en date du 17 juin 1903, rapporté dans “Le droit, journal des tribunaux”. Les faits étaient les suivants : des personnes étaient poursuivies devant le tribunal pour avoir fait partie d’un attroupement non armé, qui n’a pu être dispersé que par la force (troubles produits par la fermeture d’une école congréganiste d’Aumont). Elles demandaient la relaxe, “parce que le magistrat qui a procédé aux sommations n’aurait pas été revêtu d’une écharpe tricolore et parce que l’arrivée de ce magistrat n’aurait pas été annoncée par des roulements de tambour”. Le tribunal fit droit à cette demande : lorsqu’un maire ou un autre officier se rend sur le lieu d’un attroupement afin de faire les sommations prévues par la loi du 7 juin 1848, ils doivent porter l’écharpe tricolore ; l’omission de cette formalité imposée par l’article 3 de ladite loi, entraîne la nullité des sommations, et par suite, fait obstacle à ce que les faits constitutifs de l’attroupement puissent faire l’objet de poursuites. Selon les  commentateurs de l’époque, il s’agissait là d’une jurisprudence constante.

Ce souci de la justice trouve également un écho dans l’opinion publique relayée par la presse, notamment dans le cas des cérémonies de mariages. Le journal “Au café du commerce” du 10 janvier 1933, commente dans un entrefilet, le fait divers suivant : M. Coudert, le maire communiste de Bagnolet, “juge offensant pour ces sentiments uniquement rouges de porter une écharpe tricolore” lors des mariages. Ce port étant prescrit par la loi, “un commerçant s’étant aperçu de l’absence de l’écharpe sur l’abdomen de M. Coudert, exigea, pour être régulièrement marié, que celui-ci allât quérir la ceinture aux trois couleurs et s’en parât comme l’exige la loi. Depuis, le premier magistrat […] ceint, sauf pour les mariages “des camarades”, l’écharpe tricolore”. 

Le respect des trois couleurs était très profondément ancrée dans l’opinion publique, ainsi qu’en témoignait l’article ”l’écharpe des représentants” du journal quotidien “Le petit Marseillais”, le dimanche 13 août 1876, “comme la cocarde et le drapeau, l’écharpe était vénérée du peuple ; elle était le signe de la loi, l’emblème de la démocratie, l’ornement des magistratures populaires, comme autrefois la pourpre chez les romains”.

L’écharpe tricolore et le monde contemporain 

Le port de l’écharpe est aujourd’hui régi par l’article D. 2122-4 du Code général des collectivités territoriales. Cet article montre une grande similitude avec ces prédécesseurs. Ainsi, le maire porte toujours “l’écharpe tricolore avec glands à franges d’or dans les cérémonies publiques et toutes les fois que l’exercice” de ses fonctions peut rendre nécessaire ce signe distinctif de son autorité. Le texte règle enfin une épineuse et fondamentale question qui avait déjà agité les bancs de l’Assemblée en 1848 : ”l’écharpe tricolore peut se porter soit en ceinture soit de l’épaule droite au côté gauche. L’article va même plus loin encore en précisant que “lorsqu’elle est portée en ceinture, l’ordre des couleurs fait figurer le bleu en haut. Lorsqu’elle est portée en écharpe, l’ordre des couleurs fait figurer le bleu près du col, par différenciation avec les parlementaires.”

Ce texte règle toutes les questions concernant l’écharpe, mais il n’aborde pas la question du fameux costume décrit dans le décret du 1 mars 1852. Le sort de ce costume fait l’objet d’un questionnement récurrent. Un entrefilet du journal “Pêle-Mêle” de 1902 réaffirme l’obligation pour le maire qui célèbre un mariage de porter l’écharpe et ajoute : « les maires peuvent porter le costume […] mais il est d’usage qu’ils n’en aient pas et qu’ils portent l’écharpe tricolore […] qui est le signe distinctif de l’autorité municipale ». Cette question va revenir sur le devant de la scène en 2001. Un honorable sénateur, M. Serge Mathieu, demanda au ministre de l’intérieur (question écrite au gouvernement n° 35693, 11ème législature) de lui “préciser les perspectives d’abrogation du décret du 1er mars 1852 relatif au costume des fonctionnaires et employés dépendant du ministère de l’intérieur et plus particulièrement le port de la tenue des maires et adjoints aux maires. Au début du troisième millénaire, il exprime l’espoir de voir un ‘toilettage’ des textes qui sont périmés, à l’égard des fonctions municipales”. Selon la réponse ministérielle, ”le décret du 1er mars 1852, relatif au costume des fonctionnaires et employés dépendant du ministère de l’intérieur n’est qu’une survivance historique. En effet, le port de l’uniforme, en particulier pour les maires […] est tombé en désuétude depuis de nombreuses décennies. C’est la raison pour laquelle le texte s’y rapportant est devenu sans objet et qu’il n’apparaît pas nécessaire de l’abroger”.

Dans la pratique, c’est donc l’écharpe tricolore seule qui constitue la marque distinctive des maires et adjoints. Cette réponse ne devait pas éteindre le goût pour l’uniforme ainsi que le relate le journal Le Parisien” dans son édition du 28 janvier 2016 avec un très beau titre “Côtes-d’Armor : l’habit fait-il le maire”. Cet article évoque la décision de l’ancien maire de la commune de Plouha de faire confectionner et de revêtir l’uniforme prévu par le décret du 1er mars 1852 pour certaines occasions importantes. Docteur en histoire du droit, le maire honoraire de Plouha, a d’une certaine manière relancé un véritable débat sur l’abrogation tacite du décret.

On le voit, le maire de Lyon s’inscrit dans la longue histoire entre les maires et l’écharpe. S’il est peu probable que l’édile lyonnais revendique le port du costume, il convient que, comme tous les élus, il porte l’écharpe prévue par les textes, et cela depuis les origines de la Révolution, dans l’exercice de ses missions. L’écharpe n’est ni rouge ni arc-en-ciel, elle est tricolore. C’est l’article D. 2122-4 du Code général des collectivités territoriales qui le prévoit.

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