Le contrôle et le remboursement des comptes de campagnes, un casse-tête français

Création : 20 avril 2022
Dernière modification : 21 juin 2022

Autrice : Camille Kress, master de culture et communication, Sciences Po Saint-Germain-en-Laye

Relecteur : Jean-Pierre Camby, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani et Yeni Daimallah

Ce qu’on appelle le remboursement des frais de campagne est en réalité la prise par l’État de ces frais, en vertu du principe d’égalité. Cela suppose un plafonnement des frais, mais aussi un minimum de représentativité des candidats. D’où le fameux seuil fatidique des 5 %. On vous explique.

Dès le soir des résultats du premier tour, Yannick Jadot annonçait l’ouverture d’un appel aux dons pour “sauver l’écologie”. Le lendemain, c’était au tour de Valérie Pécresse d’annoncer qu’il manque 7 millions d’euros pour rembourser sa campagne. Le point commun entre ces deux candidats ? Aucun des deux n’a atteint la barre des 5% des voix au premier tour des présidentielles dimanche soir. Alors que par exemple aux États-Unis, les campagnes présidentielles se font quasiment sur fonds propres, en France, une bonne partie des frais de campagne engagés sont remboursés, à condition de récolter au minimum 5% des votes exprimés lors du premier tour. 

En France, dès 1988, sur fond de scandales de corruption à l’époque, le législateur décida de financer les campagnes électorales par l’argent public, moyennant un contrôle des comptes de campagne. Les financements des campagnes sont ainsi surveillés par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP).

La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques

La CNCCFP est composée de neuf membres, nommés pour cinq ans renouvelables. Ils sont nommés par décret du Premier ministre, sur proposition du Vice-Président du Conseil d’État et des Premier Présidents de la Cour des Comptes et de la Cour de Cassation. À la tête de la CNCCFP se trouve un Président, nommé lui-même par le Président de la République après avis des Commissions des Lois du Parlement.

C’est une loi de 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques, qui crée cette Commission. Le Code électoral en fait une autorité administrative indépendante chargée de contrôler les comptes de campagne. La CNCCFP encadre ainsi strictement des comptes de campagne pour la plupart des élections, en particulier les élections présidentielles, européennes, législatives, sénatoriales, régionales, départementales, municipales (dans les circonscriptions de plus de 9000 habitants), provinciales et territoriales (Outre-Mer). Deux lois de 2012 et 2013 (renforcées par une loi de 2017) accroissent la visibilité de la CNCCFP en rendant ses déclarations publiques.

Si la CNCCFP surveille aussi les comptes des partis politiques, c’est à propos des comptes de campagne qu’elle ressort dans l’actualité en ce moment. 

L’encadrement des dons et prêts aux candidats

L’encadrement est d’abord celui des dons. Les personnes morales (notamment les sociétés ou associations) ne peuvent donner. Les dons des individus sont limités. Le Code électoral est clair à ce sujet : “Une personne physique peut verser un don à un candidat si elle est de nationalité française ou si elle réside en France. Les dons consentis par une personne physique dûment identifiée pour le financement de la campagne d’un ou plusieurs candidats lors des mêmes élections ne peuvent excéder 4 600 euros”. Concrètement, cela signifie qu’une personne peut donner 4 600 euros maximum à un candidat, ou diviser cette somme au profit de plusieurs candidats.

Autre limite posée par le Code électoral, “aucun candidat ne peut recevoir, directement ou indirectement, pour quelque dépense que ce soit, des contributions ou aides matérielles d’un Etat étranger ou d’une personne morale de droit étranger. Il ne peut recevoir des prêts d’un Etat étranger ou d’une personne morale de droit étranger” selon certaines exceptions. En ce sens, le prêt accordé par une banque russe ou américaine n’est pas illégal, si cette banque passe par une filiale de droit français, établie en France.

Encadrement et validation des comptes de campagne

Outre cet encadrement quant à l’origine du financement des campagnes, les comptes de campagne sont eux-mêmes vérifiés. Aussi, une loi de 1962 prévoit que les comptes de campagne sont ainsi tenus dès le sixième mois précédant le premier jour du mois de l’élection et doivent être déposés au plus tard à 18 heures le onzième vendredi suivant le premier tour de scrutin. Les comptes de campagne des candidats sont publiés par la suite au Journal officiel après le contrôle de la CNCCFP.

Après analyse, la CNCCFP approuve, rejette ou réforme les comptes de campagne présentés par les candidats, qu’ils aient été élus ou non. Elle détermine le montant des remboursements alloués aux candidats. Elle se prononce dans les six mois du dépôt des comptes (ses décisions peuvent faire l’objet d’un recours auprès du Conseil Conditionnel).  Ce n’est qu’une fois le compte de campagne vérifié, notamment quant au respect du plafond de dépenses électorales, que le remboursement est débloqué, mais il n’est pas illimité.

Un remboursement plafonné

Le remboursement des frais de campagne par l’État, une fois validé les comptes de campagne, suit un barème prévu par la loi. Un plafond de dépenses de campagne est fixé et réactualisé à chaque échéance : il est actuellement de 16,851 millions d’euros au premier tour, et 22,509 millions d’euros au second tour, par candidat. C’est un plafond : les candidats peuvent bien sûr dépenser moins. Pour les candidats n’ayant pas franchi la barre des 5% de suffrages exprimés, 4,75% du plafond des dépenses de campagne sont remboursés. Pour ceux qui ont réussi à franchir ce cap, le montant du remboursement s’élève à 47,5% du plafond.

Dans le cas de Yannick Jadot et Valérie Pécresse, tous deux arrivés sous la barre des 5% des suffrages exprimés, le remboursement sera de 800 422 euros, soit 4,75 % de 16,851 millions (une fois que leurs comptes de campagne seront validés). Or leurs dépenses ont été bien supérieures à cette somme, tant ils pensaient obtenir plus de 5% des suffrages. Au-delà de 800 422 euros, les dépenses restent à leur charge, ou à celle de leur parti. Ils peuvent aussi lancer un appel aux dons mais attention à ne pas confondre avec la situation dans laquelle s’était retrouvé Nicolas Sarkozy en 2012.

La différence entre la situation de Valérie Pécresse en 2022 et celle de Nicolas Sarkozy en 2012

L’appel au dons de Valérie Pécresse ne se fait pas dans un contexte où ses comptes de campagne auraient été rejetés par la CNCCFP (puisque le dépôt de leurs comptes auprès de la Commission n’a pas eu lieu encore), mais parce qu’elle a obtenu un résultat électoral qui ne lui ouvre droit à qu’un très faible remboursement.

En décembre 2012, Nicolas Sarkozy avait vu son compte de campagne rejeté pour irrégularité : la Commission avait estimé qu’il avait dépassé le plafond autorisé de dépenses pour la campagne présidentielle de 2012 (plafond instauré à l’époque), notamment en masquant certaines dépenses (les dépenses de campagne furent estimées réellement à 22 975 118 € contre 21 339 664€, soit 1,6 million de dépenses masquées, conduisant à un dépassement de plafond de plus de 2%). Sur recours, le Conseil constitutionnel a confirmé ce rejet en 2013, ordonnant en outre la restitution d’une avance sur frais de campagne de la part de l’État. 

Le refus de remboursement pénalisa surtout l’UMP (devenu LR), qui connaissait déjà des difficultés financières à l’époque. L’UMP dut alors lancer ce qu’on a appelé un “Sarkothon” auprès de ses sympathisants, et le trou de 11 millions d’euros fut comblé en deux mois.

Valérie Pécresse affirme être endettée à titre personnel à hauteur de plus de 5,1 millions d’euros sur les 7 millions d’euros dépensés au total et que ce remboursement doit être effectif au 15 mai.

Il est vrai que la pratique de l’emprunt à titre personnel par le candidat est courante dans les campagnes présidentielles. Marine Le Pen a ainsi emprunté 10,6 millions d’euros en son nom pour ces élections. Cela n’a pas d’incidence sur le droit à remboursement, dès lors que la barre des 5 % est franchie. Valérie Pécresse a aussi emprunté 2,5 millions d’euros auprès de son parti, qui a dû passer l’éponge suite à l’annonce des résultats.

Les dons de sympathisants, financés en partie par l’État

Valérie Pécresse, Yannick Jadot ou l’UMP en 2012 ont lancé des appels aux dons. C’est une solution légale, mais coûteuse pour l’État : chaque don effectué en faveur d’un parti politique bénéficie en effet d’une déduction fiscale de 66% (sur 100 euros donnés, le fisc en rembourse 66). D’une certaine manière, ce que les pouvoirs publics épargnent en ne remboursant pas les dépenses de campagne, ils le déboursent à travers la déduction fiscale. Pour Valérie Pécresse, à supposer qu’elle reçoive 5 millions d’euros de dons, il en coûterait donc 3,3 millions à l’État.

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