L’ARCOM est-elle orientée lorsqu’elle comptabilise le temps d’intervention audiovisuelle de Philippe de Villiers ?

www.kremlin.ru, CC 4.0
Création : 13 mars 2024
Dernière modification : 22 mars 2024

Auteur : Philippe Mouron, maître de conférences HDR en droit privé, directeur du master droit des médias électroniques, Université d’Aix-Marseille

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle

C’est à l’ARCOM qu’il revient de décider qui entre dans la catégorie des personnalités dont le temps de parole doit être décompté pour vérifier le respect du pluralisme. Appartiennent à cette catégorie les chefs de partis, les candidats, mais aussi leurs « soutiens ». Or Philippe De Villiers soutient Eric Zemmour. Daniel Cohn-Bendit a été sorti de cette catégorie, mais pourrait très bien y retourner s’il se mettait à soutenir une liste aux élections européennes.

L’ARCOM a décidé de décompter le temps de parole de Philippe de Villiers dans le cadre des prochaines élections européennes. 

Bien que retiré de la vie politique, l’ex-élu vendéen intervient comme chroniqueur tous les vendredis sur la chaîne CNews. La décision intervient dans le contexte des polémiques faisant suite à la décision du Conseil d’État ayant enjoint à l’autorité de régulation des médias audiovisuels de réévaluer l’appréciation du pluralisme politique dans les programmes de la chaîne. Pourtant, certains ont pu s’émouvoir du traitement différencié dont bénéficient d’autres personnalités politiques, telles que Daniel Cohn-Bendit, qui sont pourtant dans la même situation que Philippe de Villiers. 

L’ARCOM fait-elle donc du “deux poids, deux mesures” ? 

Le relevé des temps de parole hors période électorale

Assurer le respect du pluralisme dans les services de télévision et de radio constitue l’une des missions dévolues à l’ARCOM par l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986. Ce respect est d’abord apprécié de façon générale, c’est-à-dire hors période électorale. 

L’ARCOM en a précisé la portée dans une délibération du 4 novembre 2017, affirmant que les partis et groupements politiques exprimant les grandes orientations de la vie politique nationale doivent bénéficier d’un temps d’intervention équitable en fonction de leur représentativité, notamment à l’aune des résultats électoraux, du nombre d’élus et des indications des sondages d’opinion. Pour rendre effectif ce dispositif, l’article 13 de la loi de 1986 impose aux éditeurs de transmettre à l’ARCOM les relevés des temps d’intervention de personnalités politiques dans les bulletins d’informations et autres programmes ayant trait à l’actualité politique. Ces relevés, qui sont rendus publics chaque mois, sont également transmis aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat ainsi qu’aux responsables des différents partis politiques qui y sont représentés. 

C’est à propos de cette exigence de pluralisme hors période électorale que le Conseil d’État a jugé que l’ARCOM devait aller au-delà de l’appréciation purement mathématique du temps d’intervention des personnalités politiques, et prendre en compte l’ensemble des programmes et des intervenants (donc aussi les chroniqueurs). 

Le relevé des temps de parole pendant les périodes électorales

Le respect du pluralisme politique dans les services de radio et de télévision fait l’objet de dispositions spéciales pour les périodes électorales. L’article 16 de la loi du 30 septembre 1986 charge ainsi l’ARCOM d’émettre des recommandations sur les règles applicables pendant les campagnes électorales. Pour ce faire, elle a adopté une délibération générale le 4 janvier 2011, qui est complétée de recommandations propres à chaque campagne. 

L’article 2 de cette délibération indique ainsi que les éditeurs doivent garantir aux candidats et listes de candidats une présentation et un accès équitables à l’antenne, ce qui inclut les “personnalités ou les partis et groupements politiques qui les soutiennent”. Le terme “personnalité” laisse entendre que les interventions d’autres personnes que les candidats ou membres de partis peuvent être comptabilisées dans les temps d’antenne de ces candidats ou membres de partis. Tel pourrait donc être le cas d’une personne qui s’est retirée de la vie politique mais qui continue à influencer celle-ci par sa présence médiatique. 

S’agissant des prochaines élections européennes, les règles ont été fixées par la recommandation de l’ARCOM du 6 mars 2024. Celle-ci est applicable dès le 15 avril 2024, soit huit semaines avant l’élection, et non six, comme cela est d’usage. Le président de l’ARCOM, Roch-Olivier Maistre, s’en est justifié en affirmant que la campagne avait déjà largement commencé

Le respect du principe d’équité impose de tenir compte à partir de cette date des résultats obtenus lors des précédentes élections européennes, ainsi qu’aux élections plus récentes, ainsi que des sondages d’opinion. Là encore, la recommandation mentionne explicitement la prise en compte de personnalités extérieures aux listes de candidats, ce qui inclut “leurs soutiens”. Cette référence aux soutiens est réitérée à plusieurs reprises dans la recommandation, lorsque par exemple il est demandé aux éditeurs de télévision et de radio de relever et transmettre à l’ARCOM les temps de parole “des listes de candidats et de leurs soutiens” pour l’ensemble de leurs programmes, à l’image de ce qui se fait hors période électorale. 

Qui sont les “soutiens” comptabilisés par l’ARCOM au titre de l’équité ?

La notion de “soutien” est laissée à la libre appréciation de l’ARCOM. Elle a donc  pu établir une liste de personnalités dont les interventions seront prises en compte. 

Le Conseil d’État, dans un arrêt du 8 avril 2009, avait affirmé que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (devenu ARCOM), veille ”au respect [du pluralisme] par les services de radio et de télévision selon des modalités qu’il lui incombe, en l’état de la législation, de déterminer ; (il) dispose, à cette fin, d’un large pouvoir d’appréciation pour fixer, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, les règles propres à assurer une présentation équilibrée de l’ensemble du débat politique national”. Autrement dit, l’ARCOM est libre de définir et de faire évoluer les règles applicables en la matière, dans les limites légales, et sous le contrôle du juge. C’est bien dans ce cadre que le Conseil d’État lui a demandé de renforcer le contrôle du pluralisme dans la chaîne CNews. 

Cette liberté d’appréciation n’a rien d’exceptionnel : l’ARCOM est une autorité dite “de régulation”, dont le rôle est d’adapter les lois et règlements au cas par cas, élection par élection, personnalité par personnalité. Tout dépend donc de la notoriété des personnalités en cause, mais aussi de l’importance et de la fréquence de leurs interventions dans des services de médias audiovisuels, et de leur capacité à influencer le débat politique. 

C’est dans l’exercice de ce pouvoir que l’ARCOM a pu fixer une liste de personnalités sorties de la vie politique mais ayant manifesté un soutien à un candidat ou une liste, et dont les temps d’interventions devront être décomptés. Si les prises de position de Philippe de Villiers sont connues de longue date, le soutien qu’il a publiquement manifesté au candidat Éric Zemmour lors de la dernière élection présidentielle justifie pour l’autorité de prendre en compte ses interventions sous l’étiquette “divers droite”. On notera qu’il en va de même pour Roselyne Bachelot, habituée des plateaux de BFM-TV. 

Cela n’interdit pas à l’ARCOM de réviser cette liste, par exemple en supprimant ou en ajoutant un soutien, ce qui avait été le cas pour Daniel Cohn-Bendit lors des élections européennes de 2019. Si toutefois ce dernier devait exprimer de nouveau un soutien politique, l’ARCOM pourrait le replacer dans la liste des soutiens. On notera d’ailleurs que l’intéressé a fait part dans la presse écrite de sa rupture avec la majorité présidentielle, en appelant les écologistes à se réunir dans une liste commune menée par Raphaël Glucksmann, qui est depuis devenu la tête de liste du parti socialiste

Affaire à suivre…

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