La NUPES souhaite “interdire le caractère lucratif des écoles privées de l’enseignement supérieur”

Création : 6 juin 2022
Dernière modification : 4 février 2023

Auteur : Antoine Lunven, master droit public approfondi, Université de Bordeaux 

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay 

Secrétariat de rédaction : Yeni Daimallah et Emma Cacciamani

Source : Programme partagé de gouvernement de la NUPES, 19 mai 2022

Tout établissement d’enseignement supérieur privé est protégé par une double liberté constitutionnelle : liberté de l’enseignement, et liberté d’entreprendre. Il y aura donc blocage au niveau du Conseil constitutionnel.

La Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale (NUPES) a dévoilé le 19 mai 2022 son programme en vue des élections législatives. Prenant à contrepied Emmanuel Macron qui avait exprimé le souhait de mettre fin à la “quasi-gratuité” de l’enseignement supérieur public au cours de la campagne présidentielle, la NUPES répond par une promesse : “interdire le caractère lucratif des écoles privées de l’enseignement supérieur”. Cependant, la formation de gauche risque de se heurter à divers obstacles constitutionnels.

Contexte : les chiffres de l’enseignement supérieur privé

D’abord un peu de contexte : les quelques 936 000 candidats de Parcoursup reçoivent en ce moment les réponses d’admission ou de refus de la part des différents établissements. Un certain nombre de candidats recalés se tournent vers le privé, dont le rôle est alors essentiel pour assurer un débouché à tous les bacheliers.

L’importance de l’enseignement supérieur privé n’est pas une nouveauté. Les instituts catholiques sont anciens : l’institut catholique d’Angers a été créé en 1875, celui de Lille en 1876 ainsi que celui de Toulouse en 1877. Depuis deux décennies, les établissements privés d’enseignement supérieur connaissent un essor face à un désintérêt croissant pour l’université publique. C’est le cas des écoles de commerce comme HEC qui propose des MBA (Master Business Administration). Citons encore l’INSEAD, qui ne connaît pas la crise, avec un chiffre d’affaires de 129 millions d’euros en 2010. Les droits de scolarité s’y élèvent à des dizaines de milliers d’euros par an. Il existe des établissements privés moins réputés mais bien moins chers, même s’ils restent bien plus chers que l’université publique.

“La liberté de l’enseignement” est protégée par la Constitution

Depuis une loi de 1875, la loi Laboulaye ou Dupanloup, l’enseignement supérieur est libre. Cette liberté d’enseignement a été reconnue à l’enseignement primaire en 1886, à l’enseignement secondaire en 1850 ainsi qu’à l’enseignement technique en 1919.

Le Conseil constitutionnel a reconnu une valeur constitutionnelle à la liberté de l’enseignement en la rangeant parmi “les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République” dans une décision de 1977. Dans la même décision, le Conseil constitutionnel considère que “l’affirmation par le même Préambule de la Constitution de 1946 que  “l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État” ne saurait exclure l’existence de l’enseignement privé”.

En contrepartie de cette liberté, tous les établissements d’enseignement supérieur privé ne sont pas reconnus par l’État. Comme l’indique le site du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, “cette reconnaissance ne concerne que l’établissement et non les diplômes qu’il délivre”. 

De cette liberté découlent deux types d’établissements d’enseignement privés sur le plan financier. Il y a d’abord ceux sans but lucratif. L’État a créé pour eux une qualification, celle “d’établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général” (EESPIG), réservée aux établissements “créés par des associations, fondations reconnues d’utilité publique, ou syndicats professionnels”. Il y a ensuite les établissements avec but lucratif : les écoles de commerces telles que HEC, Insead ou l’EM Lyon.

La NUPES peut-elle interdire ce dernier type d’établissement ? À ce stade, celui qui crée un établissement d’enseignement privé lucratif crée donc une entreprise : il bénéficie donc de la liberté de l’enseignement et de la liberté d’entreprendre.

Il faut aussi compter avec la liberté d’entreprendre, protégée par la Constitution

Le “but lucratif” n’est pas un gros mot en droit. Il désigne le but (ou un des buts) d’une activité entrepreneuriale. Depuis la Révolution française, chacun est libre : “À compter du 1er avril (1791), il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle profession, art ou métier qu’elle trouvera bon”. La liberté d’entreprendre est protégée à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen depuis une décision de 1982 du Conseil constitutionnel.

De plus, depuis une décision de 1991, le Conseil constitutionnel consacre en tant que composante de la liberté d’entreprendre, la liberté dans la fixation des prix (c’était à propos des établissements d’hospitalisation privée). Il n’y a pas de raison qu’il en aille différemment des établissements d’enseignement supérieur privés.

Certes, les tarifs peuvent être encadrés pour des motifs d’intérêt général, mais seulement si cet encadrement revient pas à anéantir la liberté d’entreprendre, dont la fixation du prix est un élément essentiel. Or l’interdiction pur et simple du caractère lucratif contreviendrait à la liberté d’entreprendre, car une activité économique est le plus souvent lucrative. 

Il y a donc peu de chances que le Conseil constitutionnel valide une telle loi, sauf à ce que l’État compense le manque à gagner pour ces écoles… ce qui n’est manifestement pas dans le programme de la NUPES. Et si ce texte passait malgré tout, tuer l’offre n’éteint pas la demande : ces grandes écoles fileraient dans les autres pays de l’Union européenne, à moins que ce ne soient nos meilleurs bacheliers eux-mêmes qui s’exilent.

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