Crédits photo : European Parliament (CC 2.0)

Jordan Bardella souhaite que “les délinquants et criminels étrangers soient systématiquement expulsés (…) à l’issue de leur peine de prison”

Création : 14 novembre 2022

Autrices : Marie-Sarah Beherlet, master de droit pénal approfondi, Université de Lorraine

Emma Matz, master de prévention du risque pénal économique et financier, Université de Lorraine

Relecteur : Jean-Baptiste Thierry, maître de conférences, Université de Lorraine

Secrétariat de rédaction : Yeni Daimallah et Emma Cacciamani

Source : BFM TV, 5 novembre 2022, 24’

La peine d’expulsion d’un délinquant étranger après qu’il a purgé sa peine d’emprisonnement existe déjà. Mais c’est une peine qui dépend du seul juge, en fonction de la gravité de la faute et de la situation de l’intéressé. En faire une peine automatique serait contraire à la Constitution.

Jordan Bardella s’est exprimé au cours de son discours d’élection à la présidence du Rassemblement National sur la politique migratoire du gouvernement. Considérant que le peuple français subit la délinquance et la criminalité des étrangers, il estime qu’il est nécessaire de les expulser automatiquement dans leur pays d’origine dès leur sortie de prison. La proposition est inconstitutionnelle. 

Une possibilité d’expulser des délinquants étrangers existe déjà : c’est la peine complémentaire d’interdiction du territoire français. Cette peine, parfois obligatoirement prononcée par le juge, n’est pourtant pas automatique.

Expulsion automatique et proportionnalité des sanctions

La peine d’interdiction du territoire français entraîne la reconduite à la frontière de l’étranger et rend son retour en France impossible pendant dix ans, voire définitivement. Lorsque l’étranger a été, en plus, condamné à une peine privative de liberté, la reconduite à la frontière intervient à la fin de l’exécution de cette peine. La demande de Jordan Bardella reviendrait à en faire une peine automatique, sans considération pour la vie privée et familiale du condamné.

Actuellement, le Code pénal réserve cette peine aux délits punis au minimum de trois ans d’emprisonnement, et interdit son prononcé dans certains cas. Le fait que le législateur ait encadré cette peine atteste de sa gravité. Gravité de la peine qui doit, selon la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et le Conseil constitutionnel, être proportionnée à la gravité de l’infraction commise. Ainsi, une telle peine, qui serait selon le souhait de Jordan Bardella, prononcée sans conditions de durée d’emprisonnement ni entourée de garanties, ne pourrait être considérée comme proportionnée. 

En outre, appliquée automatiquement, elle serait également contraire au droit au respect à la vie privée et familiale, protégé par la Constitution et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. C’est la raison pour laquelle le droit pénal prévoit, depuis une loi Sarkozy du 26 novembre 2003, que la peine d’interdiction du territoire français peut être prononcée sous de strictes conditions si l’étranger vit depuis longtemps en France, voire qu’elle ne peut pas être prononcée

Expulsion automatique et individualisation des peines

En plus de devoir être proportionnelle à l’infraction commise, la peine doit également être individualisée. C’est en vertu de ce principe à valeur constitutionnelle que le juge pénal peut choisir la peine qu’il souhaite prononcer et dispose d’une marge d’appréciation en fonction de chaque situation. Le juge tient ainsi compte de la personnalité de l’auteur, de la gravité des faits ou encore de sa situation familiale et sociale, pour prononcer la peine la plus adaptée. Par conséquent, la création d’une peine accessoire automatique contreviendrait à ce principe puisque le juge se retrouverait dénué de tout pouvoir d’appréciation dans le choix de la peine.

Ainsi, même lorsque la peine d’interdiction du territoire français est obligatoire, comme c’est par exemple le cas pour les infractions terroristes, le juge doit avoir la possibilité de ne pas la prononcer en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur.

En définitive, au risque de décevoir les partisans du RN, il existe très peu de chances pour qu’une telle proposition, si elle était adoptée par le Parlement, soit ensuite approuvée par le Conseil constitutionnel. 

Contacté, Jordan Bardella n’a pas répondu à nos sollicitations.

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