Jordan Bardella souhaite modifier le droit de la commande publique pour favoriser les TPE et PME françaises

Création : 10 novembre 2021
Dernière modification : 24 juin 2022

Autrice : Jessica Airey, master droit de l’Union européenne, Université de Lille

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit, Université Paris-Saclay

Source : BFMTV, Bourdin Direct, 20 octobre 2021, 7’

Le droit européen permet tout à fait de favoriser les petites et moyennes entreprises dans la politique des marchés publics, mais toutes les TPE-PME européennes, pas seulement les françaises.

Jordan Bardella a décrit les points clés du programme économique proposé par Marine Le Pen, avançant un concept de “patriotisme économique”. Il a annoncé entre autres vouloir modifier le droit national de la commande publique afin d’avantager les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME) françaises dans l’accès aux marchés publics.

Le droit de l’Union européenne offre déjà un avantage aux petites entreprises afin de créer des conditions de concurrence équitables pour les entreprises – grandes et petites – à travers l’Europe, à travers deux directives de 2014. Ces directives donnent aux PME et TPE un meilleur accès aux marchés publics en autorisant plusieurs protections et pratiques. Par exemple, elles encouragent le fractionnement des achats publics, qui consiste à diviser les quantités achetées, pour mieux correspondre à la capacité de production des PME. Elles exigent également des pouvoirs adjudicateurs qu’ils acceptent la coopération entre les PME lorsqu’elles peuvent soumissionner ensemble pour des contrats importants. En outre, les directives encouragent les pouvoirs adjudicateurs à utiliser le Code européen des bonnes pratiques facilitant l’accès des PME aux marchés publics, que la Commission a publié en 2008 pour accroître la participation des PME. Ces directives s’appliquent directement aux marchés publics de fournitures et de services d’une valeur supérieure à 134 000 euros, sauf quelques exceptions, et aux marchés publics de travaux d’une valeur supérieure à 5 186 000 euros. Pour les marchés d’une valeur inférieure à ces seuils, seule la loi nationale s’applique. Pour autant, les États membres restent tenus de respecter les principes généraux du droit de l’Union européenne, en particulier l’interdiction de toute discrimination en fonction de la nationalité.

Or, justement, le changement suggéré par Jordan Bardella favoriserait uniquement les TPE et PME françaises, ce qui est impossible, car le droit de l’Union interdit à un État membre d’adopter des lois qui avantagent exclusivement les entreprises nationales. C’est également interdit par le droit de l’OMC, tel que consacré par l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) et l’Accord sur les marchés publics (AMP).

Et même en droit français, il n’est pas possible de créer une distinction entre les entreprises sur la seule base de leur chiffre d’affaires : cela violerait la liberté d’accès aux marchés publics ainsi que l’égalité de traitement des candidats, comme rappelé dans une décision du Conseil constitutionnel de 2003. Il faudra donc que le RN propose d’autres moyens, dont certains existent déjà, comme la sous-traitance obligatoire, ou la priorité donnée à l’innovation.

Par ailleurs, dans l’hypothèse où la France mettrait en place ces changements, non seulement elle s’exposerait à des sanctions financières de la Cour de justice de l’Union, mais d’autres États membres de l’Union seraient probablement tentés de faire de même. Si de telles mesures de rétorsion étaient adoptées, les PME françaises perdraient donc certains marchés publics non seulement dans l’Union européenne, mais aussi ailleurs dans le monde.

Contacté, le Rassemblement national n’a pas répondu à nos sollicitations.


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