Fin de vie : Emmanuel Macron propose une voie étroite entre euthanasie passive et suicide assisté

Création : 11 mars 2024

Auteurs : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Clotilde Jégousse, journaliste

Le gouvernement présentera un projet de loi pour une “aide à mourir” en Conseil des ministres en avril. Une petite révolution, puisqu’abréger la vie d’un patient est aujourd’hui un crime puni par le code pénal.

“Regarder la mort en face”. Emmanuel Macron s’y est engagé dimanche 10 mars dans les colonnes de Libération et La Croix, en annonçant un projet de loi pour une “aide à mourir”. Et le rendez-vous est déjà pris. Dans une déclaration publiée ce lundi sur X (ex Twitter), le Premier ministre Gabriel Attal indique que le texte sera débattu en séance plénière le 27 mai à l’Assemblée nationale. “La mort ne peut pas être un sujet tabou, silencieux”, plaide-t-il dans son post. 

Dans l’entretien aux deux quotidiens, le chef de l’État précise que cette loi ne créerait ni un droit nouveau, ni une liberté” mais tracerait “un chemin qui n’existait pas jusqu’à lors”. Elle permettrait, uniquement aux personnes majeures capables de discernement (excluant à ce stade la population atteinte d’Alzheimer ou de certaines maladies neurodégénératives qui altèrent le discernement), et touchées par une maladie incurable engageant le pronostic vital à court terme, de demander l’administration d’une substance létale. Celle-ci ferait l’objet d’une décision collégiale et souveraine de l’équipe médicale.

En cas d’avis favorable, la personne devrait elle-même faire le geste, sauf si elle n’est pas physiquement en mesure d’y procéder. Un changement de paradigme majeur dans la manière d’aborder la fin de vie.  

L’“euthanasie active”, un crime en l’état actuel du droit

Abréger la vie d’un patient en fin de vie par un poison ou tout autre moyen, même pour limiter ses souffrances, est aujourd’hui en France considéré comme un meurtre, en vertu de l’article 221-1 du code pénal. En 2015, le médecin urgentiste Nicolas Bonnemaison avait notamment été condamné à deux ans d’emprisonnement avec sursis, avant d’être radié de l’ordre des médecins, pour avoir “soulagé les souffrances” de sept patients en fin de vie. 

L’aide au suicide, pratiquée en Suisse, est quant à elle regardée comme une non-assistance à personne en péril, punie de cinq ans d’emprisonnement par l’article 223-6 du code pénal, voire comme un meurtre si la personne malade n’a pas toute sa raison au moment où elle demande à être aidée. 

L’arrêt des traitements, le seul moyen légal

D’un autre côté, “l’obstination déraisonnable” (aussi appelée acharnement thérapeutique) est elle aussi interdite par la loi, et par l’article 37 du code de déontologie des médecins. Elle consiste selon la loi à entreprendre ou maintenir des traitements « inutiles ou disproportionnés » ou qui « n’ont d’autres effets que le maintien artificiel de la vie ». Afin de ne pas atteindre ce stade, les médecins cessent les traitements – dont l’hydratation et l’alimentation artificielles – en sachant que l’issue sera très probablement la mort du patient par déshydratation.

Depuis la loi dite Kouchner du 4 mars 2002, cet arrêt des traitements suppose obligatoirement des soins palliatifs. Ces derniers consistent en une « sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie », selon le code de la santé publique. C’est ce que certains appellent une euthanasie « passive », au sens où, même si l’équipe médicale ne fait qu’accompagner le mourant, la sédation peut accélérer la survenue de la mort. Par ce biais, le médecin “sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins palliatifs” (article L.1110-5-1 du code de la santé publique). 

L’accès à ces soins n’est toutefois pas toujours garanti. De l’aveu du chef de l’État, lors de son entretien ce dimanche, 21 départements sont encore dépourvus d’unités de soins palliatifs. Il présentera une “stratégie décennale” fin mars pour en renforcer l’accès. 

Une procédure très encadrée

La loi dite Clayes-Léonetti du 2 février 2016 encadre strictement le processus d’arrêt des traitements. Le code de déontologie médicale prévoit une procédure dite “collégiale” : toute l’équipe soignante est sollicitée, ainsi qu’un ou deux médecins extérieurs pour avis. Ils doivent avant toute chose consulter les “directives anticipées” du patient lorsqu’il en a laissées. Elles permettent de couper court aux litiges qui peuvent survenir entre les médecins et les proches du patient, si ce dernier n’est plus en état d’exprimer sa volonté. Le dernier mot revient au médecin qui, de jurisprudence constante, doit s’efforcer de « dégager une position consensuelle ».

En cas de désaccord avec la décision prise, les proches peuvent saisir le juge en référé.  Il s’est prononcé pour la première fois au cours de l’emblématique combat judiciaire autour de Vincent Lambert. Il avait notamment obligé l’hôpital à engager lui-même la procédure collégiale, car les médecins refusaient de le faire en raison d’un climat de tension délétère. Depuis, les cas se sont multipliés. En 2018, le Conseil d’État, saisi par les parents d’Inès, une jeune adolescente de 14 ans dans un état végétatif depuis plusieurs mois, avait validé l’arrêt des traitements.

La possibilité d’arrêt des traitements ne concerne d’ailleurs pas que les soins destinés à maintenir la vie. En 2017, le Conseil d’État avait notamment validé la décision de médecins refusant aux parents la chimiothérapie intensive de leur enfant, suivie d’une allogreffe de moelle osseuse, au motif que ce traitement ne serait pas supporté par la patiente dont l’état était trop dégradé. 

Les cas où l’arrêt des traitements est invalidé par le juge restent toutefois rares. Sur le fond, il s’en remet toujours aux médecins et, par exemple, ne retient pas les arguments religieux qui pourraient être invoqués par les proches. Il vérifie en revanche que l’intention du patient, lorsqu’elle est connue, a bien été respectée. Quoi qu’il arrive, c’est elle qui prime.

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