Éric Ciotti et d’autres députés proposent d’interdire toute diffusion d’image de forces de l’ordre

Création : 28 mai 2020
Dernière modification : 20 juin 2022

Auteur : Vincent Couronne, docteur en droit public, chercheur associé au VIP (Paris-Saclay)

Source : Proposition de loi n° 2992, 26 mai 2020

Dès lors que celui qui filme les forces de l’ordre agit dans un but journalistique, on ne peut l’interdire. Cela pose un réel problème pour la sécurité de ces agents qu’il faut résoudre autrement, mais c’est considéré comme nécessaire pour pouvoir dénoncer certaines pratiques. Ou alors il faut nuancer : interdire de filmer… sauf à des fins journalistiques.

Nous l’avions anticipé, cette période troublée est un prétexte à la protection de l’image des forces de l’ordre. C’est le cas d’une proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par un groupe de députés emmenés par Éric Ciotti (LR), et visant à punir d’une amende de 15 000 € et un an d’emprisonnement « la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, de l’image des fonctionnaires de la police nationale, de militaires, de policiers municipaux ou d’agents des douanes ».

Mais cette proposition liberticide, si elle tente de régler  un vrai problème qu’est la préservation de la vie privée des forces de l’ordre face à ce que le député des Alpes Maritimes appelle le « policier bashing », se heurterait à des normes supérieures. Le droit de l’Union européenne, dont le Règlement général sur la protection des données (RGPD) autorise le traitement de données personnelles à des fins journalistiques, protège le droit à communiquer au public des images de forces de l’ordre. C’est que le journaliste est considéré en Europe comme un véritable « chien de garde de la démocratie » et bénéficie, à ce titre, d’une liberté d’expression renforcée. Et ce n’est pas tout : l’exception ne vaut pas qu’à l’égard des journalistes titulaires d’une carte de presse, mais de tous ceux qui utilisent les images « à des fins journalistiques », selon la formulation utilisée dans le RGPD. Si vous filmez un policier qui prend votre déposition et diffusez la vidéo sans son autorisation sur Youtube, vous êtes considéré comme agissant en tant que journaliste pour la Cour de justice de l’Union européenne. Cette liberté est considérée comme nécessaire pour assurer la transparence des interventions des forces de l’ordre lorsque des comportements doivent être dénoncés. Or, le droit de l’Union européenne prime sur le droit français, ce qui veut dire que si une telle loi était adoptée, toute personne pourrait demander à ce qu’elle ne soit pas appliquée en cas de litige.

Une exception est prévue pour des cas strictement nécessaires : les visages des agents de certains services d’intervention et de renseignement listés dans un arrêté de 2011 doivent impérativement être floutés.

Pour rendre cette proposition conforme au droit, il faudrait prévoir une exception pour les personnes agissant dans un but journalistique. Il faudrait encore rappeler certaines limites : la diffamation ou la calomnie voire l’injure à agent (photos ou vidéos plus ou moins altérées et donc faussées) et surtout l’atteinte à la vie privée du policier, qui n’a pas à être filmé en dehors de son service, durant ses pauses ou son trajet jusqu’à son travail par exemple.

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