Emmanuel Macron face aux piscines réservées aux femmes et autres situations contraires à la laïcité : “le préfet pourra suspendre les actes municipaux”

Création : 2 octobre 2020
Dernière modification : 20 juin 2022

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Source : franceinfo TV, 2 octobre 2020

Le Président souhaite que les préfets suspendent directement les actes des élus locaux permettant aux usagers de faire un usage confessionnel des services publics. Or le préfet peut déjà saisir le juge administratif, tenu de statuer dans les 48 heures et qui en plus peut directement ordonner aux maires de rétablir la neutralité du service public en question. On peut donc se demander si ce dispositif tel qu’il est exposé par le Président est bien utile.

Dans son discours sur ce qu’il appelle le « séparatisme », Emmanuel Macron a voulu s’attaquer à certaines marques de faiblesse ou de complaisance des élus locaux face aux revendications portant atteinte à la neutralité et à la laïcité des services publics : piscines réservées aux femmes à certaines heures, mais aussi les cantines où seraient imposés des menus confessionnels, selon les exemples cités par le Président.

Face à ce qui n’est jamais qu’une décision illégale du maire (par exemple un arrêté municipal sur les horaires de la piscine), le président sort l’artillerie lourde : un pouvoir de suspension du préfet, qui aurait pour effet de supprimer le caractère exécutoire de l’arrêté municipal, c’est-à-dire de lui supprimer tout effet juridique. L’effet concret d’une telle suspension par le préfet serait donc le rétablissement juridique des horaires normaux de la piscine.

Or en l’état actuel du droit, le préfet peut déjà saisir le juge d’un « référé-libertés » qui oblige ce juge à statuer dans les 48 heures, en annulant l’arrêté s’il y a bien violation du principe de neutralité (ce qui est sans nul doute le cas d’horaires réservés aux femmes, dans la conception française du service public). Ensuite, le maire n’a plus qu’à appliquer la décision de justice, en rétablissant le libre accès de tous à la piscine.

Ce pouvoir de suspension du préfet, que le Président souhaite rétablir de façon ponctuelle à l’égard des actes des maires, avait disparu depuis la grande loi de décentralisation du 2 mars 1982. Il possède un fort relent de centralisme, dans un curieux pays où les maires veulent gérer eux-mêmes les conséquences de la Covid-19, mais pas les horaires de la piscine…

Reste qu’en pratique, les horaires aménagés ne prennent pas la forme d’un arrêté municipal, qui serait bien trop « voyant ». Ces horaires sont fixés de façon officieuse. Donc il n’y a pas d’arrêté municipal à « suspendre », et le préfet ne pourrait pas exercer son pouvoir. Au contraire, le juge administratif a le pouvoir d’enjoindre (ou ordonner) au maire de rétablir les horaires normaux, même en l’absence d’arrêté municipal, et cela en plus ou moins 48 heures.

Le Président E. Macron ajoute que le préfet pourra, si le maire ne s’exécute pas, « se substituer à (lui)  avec l’accord du juge » pour rétablir le fonctionnement normal des services publics. S’il faut en revenir au juge, alors pourquoi ne pas aller à lui directement à travers le référé-liberté qui existe déjà et a démontré son efficacité ?

Si l’intention est, comme le dit le Président, de « protéger les élus locaux » contre les pressions locales, le préfet est certes bien placé pour les aider à résister. Mais pourquoi, dans ce cas, ne pas utiliser les dispositifs existants qui n’ont pas démérité ? Et pourquoi, au passage, limiter ce pouvoir préfectoral aux seules atteintes confessionnelles liées à l’utilisation des services publics par les usages religieux, alors que certains maires, sans aucune pression, enfreignent tranquillement le principe de neutralité en installant une crèche de noël dans leur mairie ?

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