Cérémonie du sceau pour l’IVG, le supplément d’arme

Grand sceau de la République française, identique depuis 1848. Crédits : Simtropolitan (CC BY 3.0)
Création : 8 mars 2024

Autrice : Clotilde Jégousse, journaliste

Relecteur : Vincent Couronne, chercheur associé en droit européen au centre de recherches Versailles Institutions Publiques, enseignant en droit européen à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye

Le ministre de la Justice scelle ce vendredi le texte constitutionnel consacrant la “liberté garantie” de recours à l’avortement lors d’une cérémonie publique. Si le Sceau est purement symbolique, il confère au texte une dimension quasi-inaliénable.

Un dernier coup de presse, et la liberté des Françaises de recourir à l’interruption volontaire de grossesse sera scellée pour de bon. Ce vendredi 8 mars, journée internationale des droits des femmes, le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti apposera le Grand Sceau de France sur le texte modificatif de la Constitution adopté par le Parlement réuni en Congrès le 4 mars dernier. 

La cérémonie est purement symbolique, puisque seule la publication au Journal officiel permettra son entrée en vigueur. Pour autant, l’exécutif a vu les choses en grand. Des écrans géants ont été disposés de part et d’autre de la place Vendôme, où le ministère de la Justice a ses quartiers depuis 1718. 

Perché sur une estrade érigée devant un millier de spectateurs triés sur le volet, Éric Dupond-Moretti actionnera une presse vieille de plus de 200 ans. Le garde des Sceaux la connaît bien : elle est, selon la tradition, entreposée dans son bureau. Deux tours, puis trois, et sa matrice en argent, gravée en creux du Sceau de la République, s’écrasera sur deux galettes de cire. Marianne apparaîtra bientôt sur le ruban tricolore attaché au nouveau texte. Une manière de lui conférer une portée historique, et de l’inscrire dans la lignée des grandes avancées sociétales. 

Tout un symbole

Sous l’Ancien Régime, les grandes lettres patentes – les actes à effets perpétuels passés par le Roi – devaient nécessairement passer par la formalité du Sceau, qui portait les attributs du monarque. “C’était le rôle principal du Chancelier de la monarchie : il scellait l’acte pour que celui-ci soit authentique et puisse être envoyé dans toutes les juridictions”, explique Thierry Meneau, enseignant en histoire du droit à l’Université Paris-Saclay. 

Après la Révolution française, les symboles de la royauté sont remplacés par ceux de la République, et l’obligation d’apposer le Sceau sur la loi pour qu’elle entre en vigueur est abandonnée. Aujourd’hui, en vertu de l’article 10 de la Constitution, le Président doit simplement promulguer la loi. Il atteste de son existence en la faisant publier au Journal officiel et donne ordre aux autorités publiques de l’observer et de la faire observer. Mais l’État a conservé la tradition pour les actes dont il veut appuyer la symbolique.

La presse a été utilisée quinze fois depuis la Seconde Guerre mondiale. Les constitutions des Quatrième et Cinquième Républiques ont été scellées, comme la loi de 1962 sur l’élection du président au suffrage universel ou celle sur l’abolition de la peine de mort de 1981. “Cinq ans après son adoption, en 1986, Robert Badinter a souhaité la sceller, pour lui donner une solennité supplémentaire”, raconte Marie-Adelaïde Nielen, conservatrice en chef aux archives nationales. Une cérémonie qu’il a réitérée  après la constitutionnalisation de l’abolition de la peine de mort en 2007, lors de laquelle il prononce ces mots : “Si le scellement révèle un choix d’opportunité, je veux croire que seules les occasions exceptionnelles méritent d’y recourir”.

D’abord jaune parce que confectionné à partir de cire d’abeille, le Sceau a pris la couleur verte au début des années 2000. Le service des Sceaux des archives nationales, alors dirigé par Marie-Adelaïde Nielen, a ainsi souhaité lui conférer un caractère encore plus solennel. “Grâce à un pigment naturel à base d’acétate de cuivre, nous lui avons redonné la couleur utilisée sous l’Ancien Régime. L’Édit de Nantes, qui a accordé la liberté de culte aux protestants, a été scellé à la cire verte par Henri IV. Il avait dans l’idée que ce serait éternel”, relate la conservatrice.

“Ce vote engage la République”

Rien n’est indéfectible en droit. Ce qui est fait peut être défait, ce qui est voté peut être abrogé. Ce qui est constitutionnalisé … pourrait être déconstitutionnalisé, l’article 89 de la Constitution le permet. Mais avec cette cérémonie publique, la première de l’Histoire, de surcroît organisée un 8 mars, l’État veut faire passer un message. Pour Thierry Meneau, il s’agit de montrer que “ce vote engage la République, et pas seulement une majorité acquise à un moment donné”

Une idée que partage Marie-Adelaïde Nielen, qui a participé à plusieurs cérémonies de scellement, à l’époque accessibles à une poignée de privilégiés invités au ministère de la Justice. “L’enjeu, c’est qu’il soit extrêmement difficile de revenir en arrière si, dans le futur, des régimes moins démocratiques que le nôtre se mettent en place dans le pays.”

Ce vendredi à midi, comme l’Édit de Nantes avant elle, la loi qui fait de l’IVG une “liberté garantie” par la Constitution sera donc scellée de vert. Une couleur réservée aux droits que l’on promet intangibles. Sans doute faut-il cependant le garder en tête : 87 ans plus tard, elle n’avait pas empêché Louis XIV de signer, à Fontainebleau, un nouvel Édit pour mettre fin au droit des protestants d’exercer librement leur culte.

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