Crédits photo : European Parliament (CC 2.0)

Bardella-Moretti 1/2 : Jordan Bardella souhaite l’inscription de la “perpétuité réelle” en droit français

Création : 13 février 2024
Dernière modification : 14 février 2024

Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

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Secrétariat de rédaction : Sasha Morsli Gauthier

Source : France Info, 12 février 2024

La perpétuité réelle, à l’américaine, c’est-à-dire une condamnation définitive et irrévocable à vie, n’est pas conforme à la Convention européenne des droits de l’homme, et n’est en principe plus appliquée au sein des États membres du Conseil de l’Europe.

Questionné sur la disparition de Robert Badinter et son héritage, notamment l’abolition de la peine de mort, Jordan Bardella ne s’est pas dit favorable au retour de la peine capitale. En revanche, il souhaite inscrire la “perpétuité réelle” dans le droit français, ce qui pose des difficultés au regard de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Eric Dupond-Moretti, actuel ministre de la Justice, lui a d’ailleurs répondu que la “perpétuité réelle” existait déjà dans le code pénal, ce qui n’est pas tout à fait vrai. Ce surlignage est le premier relatif à la polémique “Bardella-Moretti” : il porte sur la “perpétuité réelle.” Le second volet est à lire ici.

La “perpétuité réelle”, qu’est-ce que c’est ?

La notion de perpétuité réelle n’existe pas en droit. Il s’agit d’une formule rhétorique qu’on peut traduire par “réalité” de la durée, et donc absence juridique de possibilité de sortie du condamné jusqu’à sa mort. Cette situation est actuellement déjà permise par le droit : une personne est condamnée à l’emprisonnement à perpétuité et ne sort qu’à son décès, sauf qu’il existe des tempéraments permettant une sortie dans certains cas (voir notre surlignage en parallèle d’Eric Dupond-Moretti).

Ce que Jordan Bardella entend par “perpétuité réelle”, c’est le fait pour un juge de décider, au moment où il prononce son verdict, que le condamné ne pourra jamais sortir de prison, quoi qu’il arrive. Une sorte de certitude de la perpétuité, qui serait censée décourager les comportements les plus criminels, au même titre que la peine de mort était censée décourager les mêmes comportements.

La “perpétuité réelle” est incompatible avec le droit de la CEDH

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de réclusion à perpétuité se fonde sur l’interdiction des traitements inhumains et dégradants. À cet égard, dans une décision de 2016, la Cour de Strasbourg a précisé que la peine de réclusion à perpétuité n’est pas en soi incompatible avec la CEDH. Toutefois, le droit doit prévoir un réexamen à terme en vue d’un aménagement de la peine, notamment la possibilité d’une libération conditionnelle. La Cour a par ailleurs encadré, à l’occasion de différentes décisions, les conditions dans lesquelles ce réexamen doit être réalisé pour être en conformité avec l’État de droit.

C’est toute la différence avec par exemple le droit américain, avec la notion de “determinate life sentence” prévue par le droit fédéral, qui exclut toute libération anticipée dès le prononcé de la peine. Au contraire, en Europe, la “réalité” de la perpétuité ne peut jamais provenir d’une sentence prévoyant à l’avance l’impossibilité absolue pour un condamné de sortir un jour de prison, par exemple pour raison de santé. En ce sens, la Cour européenne des droits de l’homme a pu sanctionner à plusieurs reprises le Royaume-Uni pour le maintien, incompatible avec la Convention, des “whole life orders” dans le panel des peines possibles.

Une étude de droit comparé a par ailleurs montré que, dans le cas des peines à perpétuité, la plupart des code pénaux européens prévoyaient la possibilité d’un aménagement de peine ou d’une sortie après vingt-cinq ans d’emprisonnement. Le code pénal français fixe un délai de dix-huit ans, que la cour d’assises peut porter à trente ans, ce qui est plus sévère par rapport aux autres législations européennes.

Ce que demande Jordan Bardella n’est donc pas conforme à la jurisprudence européenne. À moins de se retirer de la CEDH et du Conseil de l’Europe, avec ce que cela implique, la France serait lourdement sanctionnée par la Cour si elle créait une “determinate life sentence” à la française.

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