Stéphane Ravier insinue que le maire de Marseille a annoncé que “la mairie allait céder (gratuitement ?) un terrain pour construire une belle et grande mosquée”
Auteur : Clément Benelbaz, maître de conférences en droit public à l’Université Savoie Mont Blanc
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Sasha Morsli Gauthier
Source : Compte X de Stéphane Ravier, 2 avril 2024
Insinuation fondée sur aucun fait, mais aussi infondée en droit : une commune ne peut absolument pas céder gratuitement un terrain lui appartenant à une personne privée sauf si cette dernière est chargée d’un service public ou d’une mission d’intérêt général, ce qui n’est pas le cas d’une association cultuelle, musulmane ou autre.
Invité le 2 avril 2024 à la rupture du jeûne du ramadan à la mosquée de Frais-Vallon, dans le XIIIème arrondissement de Marseille, le maire Benoît Payan a déclaré qu’il avait décidé de “céder le terrain qui est à côté [de la mosquée]” pour pouvoir faire une “belle et grande mosquée.” Cela n’a pas manqué de faire réagir, notamment le sénateur Reconquête! Stéphane Ravier, qui s’est ainsi exprimé sur X : “L’imam, heu, le maire de Marseille Benoît Payan fait un prêche à la mosquée de Frais-Vallon (13e) pour annoncer que la mairie allait céder (gratuitement ?) un terrain pour construire une “belle et grande mosquée”. @MarseilledAbord s’y opposera, au tribunal s’il le faut.”
Tout est dans le “(gratuitement ?)“, sinon le post tombe à plat. Qu’implique réellement la déclaration du maire, et peut-il céder un terrain “gratuitement” pour la construction d’une mosquée ?
L’impossibilité de céder gratuitement un terrain appartenant à la commune
Tout d’abord, le maire n’a pas déclaré vouloir céder “gratuitement” le terrain jouxtant la mosquée, et rien dans sa prise de parole ne va dans ce sens. C’est une insinuation de Stéphane Ravier, que rien ne vient fonder factuellement. Et même si tel était le cas, cette cession à titre gratuit (ou même à “vil prix“, c’est-à-dire à un prix largement inférieur à la valeur vénale du terrain) serait sans doute illégale. Le Conseil constitutionnel a en effet estimé qu’un bien appartenant à une personne publique, qu’il relève de son domaine public ou de son domaine privé, ne saurait être cédé à vil prix, c’est-à-dire en dessous de sa valeur. Selon le Conseil d’État, toute vente, mais aussi tout échange ne respectant pas ce principe, est nul.
Cependant, cette règle n’interdit pas de céder un bien à prix modique, mais à condition que la vente soit justifiée par des considérations d’intérêt général, qu’il appartient à la personne publique de démontrer, et qu’il existe des contreparties suffisantes pour la collectivité (par exemple, de fortes retombées économiques). Le juge contrôlera alors la légalité de l’opération et si ces conditions sont remplies (Conseil d’État, décision du 3 novembre 1997). Par la même décision de 1997, le Conseil d’État a jugé illégale une vente à l’euro symbolique, sauf si la personne privée bénéficiaire poursuit une mission d’intérêt général. Or tel n’est pas le cas ici, les cultes n’étant plus un service public depuis 1905.
Par conséquent, le maire ne peut pas céder gratuitement le terrain, ni, s’il le vend, le faire à vil prix, sauf considération d’intérêt général.
La mise en place éventuelle d’un bail emphytéotique administratif cultuel
En dehors de la cession, la commune peut toutefois conclure un bail emphytéotique administratif (BEA) cultuel, c’est-à-dire une location d’un bien immobilier public sur une période longue, de 18 à 99 ans. Mais il existe des conditions. Le recours à “l’emphytéose” (c’est le nom technique de ce bail) est ancien, et avait bénéficié à l’église catholique pour répondre aux besoins de place en milieu urbain : c’est ce qu’on avait appelé les “chantiers du cardinal” dans les années 1930.
Institué par la loi du 5 janvier 1988 “d’amélioration de la décentralisation“, ce BEA est codifié à l’article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales, qui dispose : “Un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire l’objet d’un bail emphytéotique (…) en vue de l’accomplissement, pour le compte de la collectivité territoriale, d’une mission de service public ou en vue de la réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de sa compétence ou en vue de l’affectation à une association cultuelle d’un édifice du culte ouvert au public.” En général, dans de tels contrats, le loyer est très faible. Mais l’opération se veut économiquement équilibrée : elle n’est pas considérée comme une subvention, dans la mesure où, en fin de bail, la personne publique sera propriétaire des constructions.
Les conditions sont énumérées : il faut d’abord que le bail sur le terrain soit accordé à une association cultuelle, en vue d’y construire un édifice du culte à ses propres frais. Ensuite, en contrepartie, l’emphytéote (le locataire ou preneur) verse une redevance qui ne dépasse pas normalement un montant modique ; enfin, une fois le bail expiré, la collectivité voit l’édifice construit incorporé dans son patrimoine.
Le Conseil d’État avait ainsi pu valider le procédé du BEA cultuel en 2011, à Montreuil-sous-Bois en Seine-Saint-Denis. L’affaire portait précisément sur une mosquée : le Conseil d’État jugea que ce BEA n’était pas contraire à l’article 2 de la loi de 1905.
Dans le cas de Marseille, un BEA cultuel pourrait alors sans doute être conclu, puisqu’il existe une association cultuelle de Frais-Vallon.
Mais il faut alors avoir conscience des conséquences : à la fin du bail, la mosquée érigée sur le terrain donné à bail deviendrait propriété de la commune, qui aura la charge matérielle et donc financière de l’entretien du bâti, exactement comme pour les églises.
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