Crédit : Lionel Allorge (CC BY-SA 3.0)

Non, les agents de la Ville de Paris ne sont pas 3,5 fois plus absents que les salariés du privé

Création : 13 novembre 2024

Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste

Relectrice : Lili Pillot, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

Source : Guillaume Kasbarian, le 5 novembre 2024

Alors que le débat sur l’absentéisme des fonctionnaires persiste, les agents de la mairie de Paris sont particulièrement visés, et des chiffres trompeurs circulent. S’il y a effectivement un taux d’absentéisme pour des raisons de santé plus élevé dans la fonction publique territoriale que dans le privé, celui de la mairie de Paris est équivalent à celui d’autres collectivités.

Voilà des absents on ne peut plus présents dans le débat. Depuis la proposition du gouvernement de tailler dans les jours de carence des fonctionnaires, ces derniers sont scrutés à la loupe. Et dernièrement, ce sont les agents de la mairie de Paris qui se sont retrouvés sous le feu des projecteurs. D’après plusieurs médias, comme CNews, Ouest-France ou encore Le Figaro, ils seraient les champions de l’absentéisme avec presque 3,5 fois plus d’absences que les salariés du privé. Mais d’où peut bien sortir une telle statistique ?

Ce sont les chroniques de plusieurs éditorialistes qui ont donné du grain à moudre à cette polémique. Le 6 novembre dernier, l’éditorialiste d’Europe 1, Emmanuelle Ducros dans son “Voyage en absurdie” livrait des “chiffres fous”, tandis que le lendemain, c’est l’éditorialiste politique de TF1, Alba Ventura, qui en parlait.J’ai des nouveaux chiffres qui concernent la mairie de Paris, promet la chroniqueuse de la tranche « Alba en Liberté ». La mairie de Paris où il fait bon travailler, surtout quand on ne va pas travailler.” Après ce tacle, Alba Ventura met face à face les chiffres des jours d’absences dans le privé, dans le public et chez les fonctionnaires de la mairie de Paris.

D’après les deux chroniqueuses, dans le privé, le nombre moyen d’absences est de 11,6 jours par an, dans la fonction publique, il est de 14,5 jours mais à la mairie de Paris, ce chiffre passerait à 39,6 jours !

Les éditorialistes n’ont pas inventé ce chiffre de 39,6 jours, elles l’ont repris d’opposants politiques de la mairie de Paris. Déjà le 11 octobre, ces chiffres avaient fait esclandre au Conseil de Paris juste après la sortie du rapport social unique, et l’élu de droite, Grégory Canal, a, pour la première fois, mentionné le chiffre de “39,6 jours d’absence en moyenne pour les agents de la Ville de Paris”.

Le débat s’est même frayé un chemin dans l’hémicycle du Sénat, lors de la prise de parole d’Agnès Evren, sénatrice Les Républicains de Paris, le 5 novembre. “Le taux d’absentéisme des fonctionnaires de la Ville [de Paris,ndlr] atteint 10 %, soit le double des salariés du privé, pour un coût chaque année de 250 millions d’euros par an”, assurait-elle. Face à elle, le ministre de la Fonction publique lui-même reprend ce chiffre de 39,6 jours.

Cependant, tous ces chiffres ne sont pas exacts et la comparaison est trompeuse. Anatomie d’une information faussée.

Une comparaison entre deux chiffres qui ne disent pas la même chose

Les 11,6 jours (pour le privé) et 14,5 jours (pour le public) correspondent au nombre de jours d’absence pour des raisons de santé, d’après les chiffres issus d’un rapport conjoint de l’Igas et de l’IGF.

En revanche, le chiffre de 39,6 jours pour les fonctionnaires de la mairie de Paris, lui, provient d’un calcul réalisé par des opposants à la mairie de Paris, à partir de données issues du rapport social unique de la capitale. Et il y a deux problèmes avec ce chiffre.

D’abord, comme l’ont souligné nos confrères de Libération, dans le rapport, il est écrit qu’en 2023, le nombre de jours d’absences ouvrés est de 1 435 760 pour 36 248 agents. Les opposants à la mairie de Paris se sont emparés de ces chiffres, et la division de ce nombre de jours d’absences par le nombre d’employés indiqué équivaut bien à 39,6… sauf qu’ils font une erreur. Le nombre d’agents se limite aux “agents (fonctionnaires et des contractuels sur emploi permanent) ayant été absents au moins un jour”. Il ne s’agit donc pas de la totalité des employés.

Deuxième problème : le nombre de jours d’absences ouvrés comprend les congés pour raisons de santé, mais pas seulement. Il intègre les “absences injustifiées, pour grève, accidents du travail, congés bonifiés, congés de formation, congés de longue durée, congés de longue maladie, congés liés à la parentalité, maladie ordinaire, maladies professionnelles, etc.”. Contrairement aux chiffres utilisés pour la comparaison avec les agents du privé et du public qui n’intègrent que les congés pour des raisons de santé.

Pour avoir un chiffre qu’on puisse, a priori, comparer avec les autres, il faut donc refaire les calculs. Les Surligneurs, dingues de la calculatrice, s’y sont attelés.

Quand on prend le nombre total de fonctionnaires (45 172 en 2023) et de contractuels sur emploi permanent en contrat à durée indéterminée (2 511) et à durée déterminée (3 997), et le nombre de jours de congés pour raisons de santé (1 177 077), alors le nombre de jours d’absences moyen pour raisons de santé serait de 22,8 jours (plutôt que de 39,6).

Plus élevé que le privé, mais similaire aux autres collectivités

Cette moyenne est à peu près équivalente à ce que l’on retrouve d’habitude chez les personnels des collectivités territoriales. D’après la synthèse des rapports sociaux uniques de 2021, le nombre moyen de jours d’absences pour raison de santé y est de 23,7 jours (avec une forte disparité entre les fonctionnaires et les contractuels sous contrat permanent).

Pour prendre d’autres chiffres, d’après le rapport social unique de la Ville de Paris, le taux d’absence pour raisons de santé s’établit à 9,14 % en 2023 — ce qui s’approche, en effet, des 10 % d’absentéisme mentionnés par la sénatrice Agnès Evren. À titre de comparaison, celui du privé s’élèverait à 4,8 % en 2023, selon le baromètre d’une entreprise privée de courtiers en assurance, Willis Towers Watson.

Le nombre de jours de congé pour des raisons de santé est effectivement plus important dans la fonction publique territoriale (et notamment dans les collectivités) que dans le reste de la fonction publique et dans le privé.

Cependant, comme nous l’avions déjà rapporté aux Surligneurs, cette variation peut s’expliquer par des caractéristiques socio-démographiques selon le rapport de l’Igas et de l’IGF. “Les niveaux différenciés des absences des trois versants [fonction publique d’État, hospitalière et territoriale, ndlr], entre eux et par rapport au secteur privé, résultent des caractéristiques des agents (âge, sexe, état de santé) et de leurs emplois (type de contrat, catégorie socio-professionnelle, diplôme) qui expliquent […] 53 % de l’écart entre la fonction publique territoriale (FPT) et le secteur privé”, écrivent-ils.

À noter que les années 2020, 2021 et 2022 ont été marquées par une augmentation importante des arrêts maladie liés au Covid-19 d’une façon générale.

Dernier chiffre mentionné par les éditorialistes politiques et les opposants à la mairie de Paris : l’absentéisme dans la collectivité de la capitale coûterait 250 millions d’euros. Le chiffre a, pour la première fois, été mentionné par l’élu de droite, Pierre-Yves Bournazel au Conseil de Paris. Contacté par Les Surligneurs, il explique se baser sur un rapport de l’Inspection générale de la Ville de Paris de 2008 “mis en lumière par la Chambre régionale des comptes en 2017”.

Dans ce rapport de 2008, il est écrit : “En 2007, les journées d’absence pour motifs de santé ont représenté un manque de 4 294 agents équivalents temps plein, qui peuvent être valorisés à hauteur de 160 millions d’euros”. Pierre-Yves Bournazel a précisé aux Surligneurs qu’ “au vu de l’augmentation de la masse salariale à 2,6 milliards d’euros en 2023, le coût de l’absentéisme, dont le taux est toujours supérieur à 9 %, est donc estimé à 250 millions d’euros par an, soit environ 5 000 équivalents temps plein”.

 

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