Nicolas Dupont-Aignan veut ouvrir un bagne aux Îles Kerguelen destiné aux condamnés pour terrorisme

Création : 22 octobre 2021
Dernière modification : 24 juin 2022

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Source : Compte twitter de Nicolas Dupont-Aignan, 18 octobre 2021

La mise en place d’un établissement pénitentiaire pour les terroristes sur les Iles Kerguelen serait un casse-tête logistique et risquerait de conduire à la violation des droits fondamentaux.

Ce n’est pas la première fois que Nicolas Dupont-Aignan fait une colère contre les auteurs de crimes terroristes à visée islamiste. Il avait ainsi adressé une lettre ouverte au Président Emmanuel Macron en 2017, et nous avions déjà surligné la très, très, très probable inconstitutionnalité d’une telle création. Petite révision.

Dupont-Aignan fait en effet référence aux peines de transportation et de relégation dans les bagnes coloniaux, supprimées du code pénal par le décret-loi du 17 juin 1938 pour la première et la loi du 11 juillet 1970 pour la seconde. Ces peines avaient un but de neutralisation permanente puisqu’elles éloignaient de la métropole ceux que la société considérait comme indésirables.

La proposition de M. Dupont-Aignan semble inenvisageable pour plusieurs raisons. Premièrement, l’éloignement n’a pas démontré un effet particulièrement dissuasif, en témoignent les statistiques de l’époque mettant en exergue une augmentation de la récidive (compte général de la justice criminelle en France de 1893).

Deuxièmement, il faut souligner que les Iles Kerguelen, situées aux confins de l’Océan Indien, connaissent un climat particulièrement rigoureux et n’abritent qu’une base scientifique. La situation des îles conduirait à de colossaux problèmes logistiques : Comment assurer le lourd fonctionnement d’une prison, dans un endroit aussi isolé, sans infrastructure et non habité ? Ne nous méprenons pas, cette remarque n’est pas très éloignée du droit : il faut bien évaluer l’effectivité d’une réforme pénale.

Troisièmement, la neutralisation totale irait à l’encontre du principe de réinsertion sociale inscrit à l’article 130-1 du code pénal.

Quatrièmement, cette mesure amènerait à se questionner sur sa compatibilité avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Par exemple, il semblerait évident que l’exercice effectif des liens familiaux (article 8) ne puisse pas être respecté. Pourraient s’ajouter les mêmes interrogations, quant à la caractérisation de traitements inhumains et dégradants (article 3), au regard de l’obligation de respect de la dignité humaine concernant les modalités de détention (comme le rappelle la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Frérot contre France du 12 juin 2007).

Nicolas Dupont-Aignan a longuement répondu après publication de notre article, voici un résumé de cette réponse, que nous espérons fidèle :

  • Le droit à la réinsertion ne serait pas opérant s’agissant de personnes dont ce n’est pas le but et qui doivent donc rester isolées, à perpétuité au besoin. Nous n’avons pas les moyens de les surveiller une fois sorties de prison.
  • L’isolement aux Kerguelen répondrait à la problématique de la radicalisation dans les prisons métropolitaines et de sa contagion aux détenus de droit commun.
  • Emprisonner aux Kerguelen n’implique pas un traitement inhumain, d’autant qu’en 2022 Nicolas Dupont-Aignan, s’il est élu, prévoit de sortir du Conseil de l’Europe, ce qui nous dispenserait de respecter la Convention européenne des droits de l’homme et la jurisprudence de la Cour.
  • Enfin, Nicolas Dupont-Aignan prévoit un dispositif tel que la déchéance de nationalité des binationaux criminels ou fichés S, ce qui résoudra la question de leur emprisonnement.

Cet article est partiellement une republication d’un article publié le 24 novembre 2017


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