SRA ESPERANZA BERRIOS, USA, domaine public

Nexus.fr : “Si la France entre en guerre, pouvons-nous être réquisitionnés ?”

Création : 28 mars 2024

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay

Relecteur : Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public à l’Université de Poitiers

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle

Source : Magazine Nexus, 21 mars 2024

Prétendre que le pouvoir de réquisition militaire permet d’envoyer nos enfants à la guerre, qui plus est en Ukraine, revient à confondre réquisition et conscription ou mobilisation. Cela tient du raisonnement de juriste amateur ou, au choix, de désinformation malveillante.

Macron veut envoyer nos enfants sur le champ de bataille” selon Manon Aubry ; “inquiétant dispositif de réquisition” selon le média Nexus.fr qui s’interroge sur le pouvoir de réquisition tel que réformé par la loi de programmation militaire du 1er août 2023. Cette loi avait déjà fait l’objet de bien des fantasmes alors même qu’elle n’était qu’à l’état de projet de loi, certains tendant à faire croire que l’État pourrait réquisitionner “tout ce qu’il veut”.

La réalité est toute autre sur le plan juridique : s’il est vrai que le pouvoir de réquisition a été élargi, il ne faut pas confondre réquisition et conscription, réquisition et mobilisation.

La réquisition, même élargie, n’est pas la conscription. 

La conscription est l’équivalent du service militaire obligatoire, qui a été supprimé sous la présidence Chirac, par une loi du 28 octobre 1997, au profit d’un service volontaire. Avant cette suppression, les militaires conscrits (dits aussi les “appelés”), pouvaient en effet être envoyés au front, bien que depuis longtemps seuls les militaires de carrière partaient au combat, en plus des volontaires.

La réquisition, prévue par les articles L. 2211-1 et suivants du code de la défense, ne permet absolument pas de rétablir une conscription, même à petite échelle.
Cet outil juridique permet à l’Etat se se doter autoritairement de moyens humains et matériels, afin de parer à une menace qui ne se réduit plus seulement à une attaque militaire, mais à “l’ensemble des menaces et des risques susceptibles d’affecter la vie de la Nation, notamment en ce qui concerne la protection de la population, l’intégrité du territoire et la permanence des institutions de la République, et de déterminer les réponses que les pouvoirs publics doivent y apporter” (article L. 1111-1 du code de la défense).

En somme, les guerres étant désormais “hybrides” selon le terme consacré, la loi de programmation militaire permet de moderniser le code de la défense en étendant les réquisitions à tous les biens, services et personnels aptes à permettre une réponse aux différents types d’agressions (armée, technologique, terroriste, etc.). Il en ira ainsi de la réquisition de drones civils par exemple, avec leurs “pilotes”, ou encore de moyens numériques avec les personnels qualifiés, de véhicules avec leurs conducteurs, ou, comme cela a été évoqué par le ministre des Armées, des moyens de production de munitions afin de les envoyer en Ukraine.

Toutes ces réquisitions font l’objet d’une indemnisation, et ne permettent pas d’enrôler des personnes. D’ailleurs, l’article L.2212-1 du code de la défense prévoit que “l’appel sous les drapeaux fait cesser la réquisition“. Les personnes requises “sont utilisées suivant leur profession et leurs compétences, ou, s’il y a lieu, suivant les aptitudes, en commençant par les plus jeunes et en tenant compte de la situation de famille, soit isolément, soit dans les administrations et services publics, soit dans les établissements et services fonctionnant dans l’intérêt de la nation (…) Les requis non soumis aux obligations militaires définies par le code du service national ne peuvent, dans aucun cas, être affectés aux corps spéciaux“. La réquisition n’a donc pas vocation à envoyer au combat, d’autant qu’elle peut être prononcée en dehors de toute agression armée. En revanche, la réquisition elle peut indéniablement conduire à exposer certains personnels civils à des risques.

La réquisition n’est pas non plus la mobilisation

La mobilisation est également prévue par le code de la défense (article L. 2141-1 et suivants). Décidée par décret en conseil des ministres, elle ouvre aussi le droit de “requérir les personnes, les biens et les services” (article L. 2141-3 du code de la défense).
Mais surtout, la mobilisation peut être générale ou partielle. Lorsqu’elle est générale, elle vise toute personne non exemptée des obligations militaires, qui doit “obéir, sans attendre la notification d’un ordre de route individuel, aux instructions portées sur le fascicule de mobilisation ou sur l’ordre dont il est détenteur, soit sur l’ordre d’appel qui lui a été régulièrement notifié, sous peine d’insoumission, quels que soient sa situation et le lieu où il se trouve” (article L. 2141-4 du code de la défense), sauf objection de conscience (article L. 116-1 et suivants du code du service national)

C’est donc l’appel sous les drapeaux, et là il s’agit bien d’envoyer “nos enfants” au front sous réserve des conditions d’âge, y compris sous forme de réquisition. L’hypothèse est celle d’une agression armée actuelle ou imminente, mais également celle d’une agression contre un pays auquel la France doit aide et assistance en vertu d’un traité comme celui de l’OTAN.

Or, l’Ukraine ne fait pas partie de l’OTAN. Et quand bien même un pays partie à l’OTAN serait attaqué, l’article 5 du traité ne nous oblige pas à entrer en guerre. Selon cette disposition, “[l]es parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles (…) sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles (…)  assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée“. C’est alambiqué, mais tout est dans le “jugera nécessaire“.

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