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L’Europe veut-elle imposer la GPA à tous les Etats membres ?

Création : 5 avril 2024
Dernière modification : 10 avril 2024

Auteur : Nicolas Kirilowits, journaliste

Relecteur : Vincent Couronne, chercheur associé en droit européen au centre de recherches Versailles Institutions Publiques, enseignant en droit européen à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle

Source : Syndicat de la Famille, 2 novembre 2023

A moins de trois mois des élections européennes, les imprécisions se multiplient quant aux votes soumis au Parlement européen. Jamais les députés européens, quel que soit leur bord politique, n’ont été amenés à se prononcer sur la reconnaissance de la gestation pour autrui. Un tel sujet relève de la seule compétence des Etats membres. 

 

Après l’IVG et la fin de vie, c’est au tour de la gestation pour autrui (GPA), autre sujet intime et sensible pour le débat public : d’après un post publié sur Facebook le 2 novembre 2023, “l’Europe veut imposer la GPA en douce à tous les Etats membres“. Un vote a bien eu lieu en décembre dernier au Parlement à Strasbourg mentionnant la GPA, sur la base d’une proposition législative de la Commission européenne. Cette proposition concerne les mécanismes de reconnaissance mutuelle de la filiation entre les Etats membres, mais elle n’envisage aucune légalisation à l’échelle européenne de la gestation pour autrui. Le post explique certes cette différence, mais fait une confusion sur ce que peut faire l’Union européenne et son rôle dans la reconnaissance de la filiation des enfants nés par GPA dans un autre pays.

Pas de légalisation imposée de la GPA

Le post du Syndicat de la Famille le rappelle bien : le texte en question vise, selon des propos rapportés dans le communiqué de presse publié après le vote à faire en sorte que “lorsque la filiation est établie par un pays de l’UE, les autres États membres la reconnaissent“. Selon la rapporteure au Parlement européen, l’eurodéputée socialiste et portugaise Maria-Manuel Leitão-Marques, le vote au Parlement tendait à renforcer les droits des enfants sur le vieux continent : “Aucun enfant ne doit faire l’objet de discrimination en raison de la famille à laquelle il appartient ou de la façon dont il est né. Actuellement, les enfants peuvent perdre leurs parents, légalement parlant, lorsqu’ils entrent dans un autre État membre. C’est inacceptable. Avec ce vote, nous nous rapprochons de l’objectif de faire en sorte que si vous êtes parent dans un État membre, vous êtes un parent dans tous les États membres”, a-t-elle notamment déclaré après le vote en session plénière.

Plus précisément encore, dans le texte adopté à une large majorité, la proposition législative de la Commission européenne a été amendée par les parlementaires européens de manière à indiquer que le règlement “ne saurait être interprété comme obligeant un État membre à modifier son droit matériel de la famille afin d’accepter la pratique de la gestation pour autrui. Les compétences des États membres doivent être respectées à cet égard.”

Le communiqué de presse du Parlement européen précise de son côté : « en ce qui concerne l’établissement de la filiation au niveau national, les États membres seront en mesure de décider, par exemple, d’accepter la gestation pour autrui, mais ils seront tenus de reconnaître la filiation établie par un autre pays de l’UE, indépendamment de la façon dont l’enfant a été conçu, est né ou du type de famille qu’il a.” Autrement dit, une personne née d’une GPA au Danemark, ne pourra, si ce texte s’applique, se voir refuser sa filiation s’il venait un jour à s’installer en France. Un exemple parmi tant d’autres appuyé par la Commission européenne dans l’introduction à sa proposition de fin 2022 qui précise que “deux millions d’enfants pourraient actuellement être confrontés à une situation dans laquelle la reconnaissance de leur filiation telle qu’établie dans un État membre n’est pas reconnue à toutes fins dans un autre État membre.” Là encore, on a peine à trouver dans ces textes une obligation de légaliser la GPA.

Une reconnaissance de la filiation par GPA déjà effective en France et obligatoire dans 46 pays européens

Le post sur Facebook laissent croire aussi que cette reconnaissance de la filiation serait nouvelle, alors que l’Union européenne ne ferait ici que rappeler ce qui est déjà la règle depuis une décision de la Cour européenne des droits de l’homme en 2014, l’affaire Mennesson contre France. Depuis cette décision, qui s’applique à l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe – ils sont au nombre de 46, dont les 27 membres de l’Union européenne – les services de l’état civil doivent reconnaître un enfant né à l’étranger par GPA comme étant l’enfant du “parent d’intention“. En France, la reconnaissance de cette filiation passe par l’adoption formelle de l’enfant afin qu’il ou elle puisse avoir une mère à l’état civil, une possibilité formellement reconnue depuis la loi Bioéthique de 2021, qui a modifié l’article 47 du code civil. Pour la France, l’adoption de la législation européenne ne changerait rien. On peut noter aussi que l’Union européenne tente d’adhérer depuis plusieurs années à la Convention européenne des droits de l’homme, et que si elle y parvient elle devrait respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, donc la décision Mennesson contre France qui impose de reconnaître la filiation des enfants nés par GPA à l’étranger.

Une décision unanime des États membres nécessaire

Par ailleurs, si les parlementaires européens ont bien voté à une large majorité (366 voix pour, 145 voix contre et 23 abstentions) en faveur de ce texte, leur décision n’a aucune valeur contraignante puisque suivant les règles de « procédure de consultation », c’est le Conseil de l’UE, et donc les Etats membres à travers la voix de leurs ministres, qui devront se prononcer à l’unanimité pour adopter la proposition de la Commission. En effet, en vertu du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), si le droit de la famille relève de la seule compétence des Etats membres, l’article 81 précise, à son paragraphe 3, que « les mesures relatives au droit de la famille ayant une incidence transfrontière sont établies par le Conseil, statuant conformément à une procédure législative spéciale. Celui-ci statue à l’unanimité, après consultation du Parlement européen. » Dès lors, l’unanimité du Conseil constitue-t-elle un horizon possible ?

Il y a des raisons sérieuses d’en douter. A partir du 1er juillet prochain, c’est la très conservatrice Hongrie de Viktor Orban qui dirigera le Conseil de l’Union européenne. Il est peu probable que celui-ci s’engage sur des questions sociétales et progressistes. Par ailleurs, quel que soit le pays à la tête du Conseil, la Hongrie pourra toujours se prononcer contre l’adoption du texte. Actuellement, le programme étalé sur 53 pages de la Belgique, qui préside l’instance jusqu’au 30 juin prochain, ne mentionne que sur deux lignes la proposition de la Commission. Il y est indiqué que « la Présidence encouragera l’initiative relative à la reconnaissance de la filiation entre États membres. » Jusqu’à présent le sujet n’a pas encore été discuté et ne figure à l’ordre du jour d’aucune réunion ministérielle selon les précisions d’un fonctionnaire de l’UE interrogé par Les Surligneurs.

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