Législatives 2024 : Jean-Luc Mélenchon est-il antisémite ?

Création : 21 juin 2024

Auteur : Julia Terradot, journaliste

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétaire de rédaction : Gladys Costes, étudiante en licence de Science politique à Lille

 

Source : Compte Facebook, le 18 juin 2024

Le patron de LFI est accusé par ses détracteurs d’être antisémite. Une manière de décrédibiliser l’alliance de la gauche aux élections législatives anticipées, qui se couvriraient ainsi de “honte”. Les Surligneurs ont décidé de passer aux cribles les déclarations de l’ancien candidat aux élections présidentielles.

Cette petite musique n’est pas nouvelle, mais reprend du poil de la bête au lendemain de la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin dernier. Selon plusieurs internautes, mais également des personnalités politiques et des journalistes, Jean-Luc Mélenchon serait antisémite.

Une preuve pour ses détracteurs que l’alliance du Nouveau Front Populaire avec la France insoumise serait “honteuse”, comme le raconte Etienne Gernelle, le directeur du Point dans une interview sur RTL, le 13 juin : “La réalité, c’est que s’allier aujourd’hui avec le LFI de Jean-Luc Mélenchon, c’est s’allier à Jean-Marie Le Pen“, accuse-t-il. “Aujourd’hui Jean-Luc Mélenchon sur la question de l’antisémitisme, c’est l’équivalent non pas de Marine [mais] de Jean-Marie Le Pen. Et donc c’est déshonorant“, conclut l’éditorialiste.

Que ce soit posé : personne ne peut pénétrer l’esprit de Jean-Luc Mélenchon pour connaître le fond de sa pensée. Ce que l’on peut faire en revanche, c’est juger sur pièce. Les Surligneurs ont fouillé les déclarations du candidat de ces dernières années pour voir si l’ancien candidat à l’élection présidentielle avait pu tenir des propos antisémites.

Si Jean-Luc Mélenchon a bien eu des déclarations, que l’on peut qualifier de maladroites, voire d’ambiguës et donc critiquables, il n’existe aucune trace de propos antisémites ou négationnistes comparable à ceux de Jean-Marie Le Pen.

Ainsi, le comparer à l’ancien président du Front ou au Rassemblement national, dont l’histoire est belle et bien marquée par l’antisémitisme, est, à minima, injuste, au pire malhonnête.

Vieille rengaine

Les accusations visant Jean-Luc Mélenchon ne sont pas nouvelles. En 2012, déjà, plusieurs figures de l’UMP (aujourd’hui Les Républicains) dont Jean-François Copé, Nathalie Kosciusko-Morizet et Alain Juppé avaient attaqué Jean-Luc Mélenchon sur sa soi-disante proximité avec le compositeur grec, Mikis Theodorakis. Ce dernier avait défrayé la chronique pour ses prises de positions antisémites.

Jean-Luc Mélenchon en 2012. Photo : Philippe Huguen / AFP

 

Face à ces accusations destinées à dénigrer l’alliance entre le Front de gauche et le Parti socialiste, il avait alors déposé plainte. Les trois ex-UMP sont condamnés en première instance pour diffamation par le tribunal correctionnel de Paris.

Il y a assez d’antisémites dans notre pays pour que des pyromanes puissent s’amuser à inventer de faux antisémites”, avait ensuite réagit l’élu de gauche. En juin 2015, Jean-François Copé obtiendra la relaxe en appel.

“Salir un adversaire”

Car le président de la France insoumise a toujours considéré ces accusations comme une ignominie visant à décrédibiliser ses positions politiques, notamment sur la politique d’Israël : “L’antisémitisme est une réalité comme le racisme en général”, écrivait-il sur son blog en juin 2015.  “À force de l’utiliser pour interdire tout débat sur la politique des gouvernements d’Israël, ou pour régler des comptes politiques, l’argument a changé de sens aux yeux du plus grand nombre en perdant son objet réel.

Alors, les accusations visant l’ancien ministre de François Mitterrand n’émanent-elles que d’un simple calcul politique cynique, comme il l’affirme ? Rien n’est moins sûr, car l’ancien candidat à l’élection présidentielle a également tenu des propos — certes incomparables avec ceux de Jean-Marie Le Pen — mais qui ont choqué jusque dans son propre camp.

Toujours à la limite

Parmi les déclarations “choc” les plus récentes, cette phrase publiée dans une note de blog au début du mois juin 2024. Jean-Luc Mélenchon y écrit que “ contrairement à ce que dit la propagande de l’officialité, l’antisémitisme reste résiduel en France. Il est en tout cas totalement absent des rassemblements populaires.”.

Une affirmation qui interpelle alors même que le nombre d’infractions traitées par la police pour des faits d’antisémitisme ont explosé en France à la suite de l’attaque du Hamas sur Israël, le 7 octobre 2023.

Il veut opposer l’antisémitisme présent en France qui persiste, qui a toujours été là, et la peur dont on ne peut pas se débarrasser, à l’antisémitisme qui serait celui des luttes pour la Palestine,” tente de déchiffrer une proche de Jean-Luc Mélenchon auprès des Surligneurs.

Quelques semaines plus tôt, dans un texte d’une rare virulence à l’encontre du député PS Jérôme Guedj, publié sur le site l’insoumission.fr, l’Insoumis accuse l’élu de “renié les principes les plus constants de la gauche du judaïsme en France”, le renvoyant de fait à ses origines juives. “Je ne suis pas un juif de gauche, je suis un universaliste“, lui avait rétorqué Jérôme Guedj, dans une tribune au Monde.

Une manifestation contre l’antisémitisme le 19 juin 2024 à Paris. Photo : Alain Jocard / AFP

 

En octobre 2023, Jean-Luc Mélenchon s’était également retrouvé dans la torpeur médiatique après avoir, sur Twitter, attaqué la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet : “Voici la France. Pendant ce temps, Madame Braun-Pivet campe à Tel-Aviv pour encourager le massacre. Pas au nom du peuple français !”, avait-il écrit. 

Pour certains, l’utilisation du terme ‘“campe” est une référence à peine déguisée aux camps de concentration nazis. “Oui, [le tweet] est bourrin” défend la proche de Jean-Luc Mélenchon, “mais que le mot campe soit pris comme une possibilité d’une référence aux camps de concentration, je ne comprends même pas qu’on puisse envisager ça.”

Mais par-delà les proximités idéologiques ou les querelles politiques, qu’en pensent les historiens et spécialistes de l’antisémitisme ?

“Métaphores dangereuses”

“Je ne pense pas qu’il soit antisémite, mais il utilise des métaphores très dangereuses qui lui viennent spontanément,” estime Pierre Birnbaum, historien, sociologue et spécialiste de l’histoire des juifs de France. “Mélenchon est très prudent, il est toujours à la limite” analyse-t-il.

C’est quelque chose de chronique et régulier, et ça remonte à très loin,” abonde de son côté Jean-Numa Ducange, professeur d’histoire contemporaine et spécialiste de l’Histoire des gauches. Il décèle chez Jean-Luc Mélenchon une potentielle stratégie politique de “clash permanent”, qui l’empêcherait de tomber dans l’oubli. [Cette stratégie] le met toujours au premier plan, même négativement […] je pense qu’il est tout à fait lucide sur ce qu’il fait. En politique, rien n’est pire que la disparition totale,” suggère l’historien.

Un calcul politique pour soi donc, mais aussi pour les autres, estime Jean-Numa Ducange. Selon lui, les déclarations de Jean-Luc Mélenchon pourraient envoyer des signaux, volontairement ou non, aux personnes qui confondent la lutte contre la politique israélienne et la lutte contre les juifs, “alors qu’il serait tout à fait possible de critiquer fermement l’Israël en étant sans concession sur l’antisémitisme”. 

Ainsi, Jean-Luc Mélenchon n’a jamais réellement franchi le seuil d’un propos catégoriquement antisémite et n’a d’ailleurs jamais été condamné pour cela, contrairement à Jean-Marie Le Pen par exemple.

Ainsi, qualifier Jean-Luc Mélenchon d’antisémite sur la base de ses déclarations publiques est sans doute excessif, ce qui ne doit pas empêcher de critiquer ou de dénoncer les propos ambigus du patron de La France Insoumise.

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