Gilet jaune devant la justice pour le message “Macron ordure” : “Le parquet a essayé de limiter les dégâts”

L'avocat Juan Branco et Valérie Minet devant le tribunal de Saint-Omer, le 4 juillet 2023. © Clotilde Jégousse / Les Surligneurs
Création : 8 juillet 2023
Dernière modification : 19 juillet 2023

Autrice : Clotilde Jégousse, envoyée spéciale à Saint-Omer

Relectrice : Audrey Darsonville, professeure de droit pénal, Université Paris Nanterre

Ce mardi 4 juillet, le tribunal de Saint-Omer a mis fin à la procédure contre la militante Valérie Minet, poursuivie pour avoir qualifié le Président de la République “d’ordure” sur les réseaux sociaux. La défense a annoncé porter plainte contre “une demi-douzaine d’individus”.

Valérie Minet est libérée de toutes poursuites. L’issue du procès a pourtant laissé un goût d’inachevé à cette militante, son avocat – le très médiatique Juan Branco, défenseur historique des gilets jaunes – ainsi qu’aux dizaines de militants venus soutenir l’une des leurs, mardi après midi au Tribunal Correctionnel de Saint-Omer (Pas-de-Calais).

Le 24 mai dernier, la quinquagénaire avait été interpellée et placée en garde à vue à la suite de la publication sur Facebook d’une photographie la montrant, souriant, à côté de l’inscription “Macron ordure” taguée devant des déchets, en marge des manifestations sur les retraites. Les enquêteurs s’étaient ensuite intéressés à une autre inscription : un message posté sur le même réseau social trois jours plus tôt. Le 21 mars, la veille de l’intervention du Président sur les plateaux du 13h de TFI et France 2 après l’adoption de la réforme, Valérie Minet avait écrit : “L’ordure va parler demain à 13 heures, pour les gens qui ne sont rien, c’est tjrs à la télé que l’on trouve les ordures”. Elle était poursuivie pour “outrage à personne dépositaire de l’autorité publique” (article 433-5 du code pénal), et “injure publique envers le Président de la République” (article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse).

Problème : la plainte avait été déposée par le sous-préfet de Saint-Omer, Guillaume Thirard, alors qu’elle aurait dû l’être par la personne injuriée, en l’occurrence Emmanuel Macron. Un “détail” – une cause d’irrecevabilité en droit – qui entache toute la procédure de nullité, et que le procureur a soulevé d’entrée de jeu, au grand dam de la défense qui espérait un débat sur le fond.

Nullité sur la forme 

“Circulez, y’a rien à voir”. C’est le message que semblait vouloir envoyer le parquet avant même le début de l’audience. Devant les portiques de sécurité, les spectateurs se sont d’abord vu refuser l’entrée. “On verra s’il y a de la place, on viendra vous chercher. Ordre du procureur”, rabâchaient les agents de sécurité à quiconque croyait pouvoir passer de l’autre côté. Qu’à cela ne tienne : l’avocat de la défense, Juan Branco, a ouvert la voie jusqu’à la porte, où tous se sont massés en chantant pendant de longues minutes, jusqu’à ce que l’on consente à les laisser accéder à la salle.

Une fois l’audience commencée, dans la “grande salle” du tribunal, ouverte pour que chacun puisse y passer sa tête, le procureur a, de lui-même, tenté de couper court aux débats. La plainte, déposée par le sous-préfet Guillaume Thirard – cité comme témoin par la défense – l’a été “au nom de l’État français”, sous entendu du Président. Or, concernant cette infraction, il n’est pas possible de porter plainte “au nom de quelqu’un”. Le sous-préfet n’étant pas visé par les propos qu’a tenus Valérie Minet, la procédure devrait donc être frappée de nullité. Et de conclure : “Si le tribunal n’a pas été valablement saisi, il n’aura pas à se prononcer sur le fond”, donc sur les faits.  

Un “moyen de nullité” sur lequel la défense a dit “rejoindre” le procureur, avant d’enfoncer le clou : “Le sous-préfet, comme les marquis en leur temps, a pensé qu’il pouvait se saisir au nom du Président. Qui lui avait donné mandat ? Sommes-nous sous l’Ancien Régime ? Y a-t-il des lettres de cachet ?”.

Mais c’était mal connaître le personnage que de penser que l’avocat de Valérie Minet en resterait là.

“Une conjonction d’éléments qui touche au scandale”

Selon la défense, la militante n’aurait, pour commencer, jamais dû mettre un pied en garde à vue. “Une citoyenne française a été arrêtée, placée en garde à vue pendant huit heures, alors qu’elle était poursuivie pour une infraction qui n’est pas réprimée par une peine de prison”, a commencé Juan Branco, avant d’ajouter “une infraction pénale a été commise” par les officiers de police judiciaire qui décident du placement en garde à vue, et par “l’autorité judiciaire“, qui contrôle celui-ci.

L’article 62-2 du code de procédure pénale prévoit en effet que seuls les individus soupçonnés d’avoir commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement peuvent être placés en garde à vue. Or, l’injure publique envers le Président de la République, l’une des deux infractions pour lesquelles Valérie Minet était poursuivie, est passible de … 12 000 euros d’amende, mais pas de peine d’emprisonnement.

La deuxième infraction – outrage à personne dépositaire de l’autorité publique, qui est, elle, punie d’un an d’emprisonnement en plus de 15 000 euros d’amendes – n’aurait “été ajoutée à la procédure que pour justifier la garde à vue”, aux dires de la défense. L’outrage, qui, pour être caractérisé, doit être commis “dans l’exercice des missions” de la personne, ne pourrait d’ailleurs pas être retenu lorsqu’il s’agit du Président, selon Juan Branco. “La jurisprudence est claire”, a-t-il avancé, en évoquant un arrêt “Eon contre France” rendu par la Cour européenne des droits de l’homme en 2013. Dans cette affaire – du nom de l’homme qui avait été condamné par la France pour “offense au Président de la République” après avoir agité une pancarte “casse toi pov’con” devant Nicolas Sarkozy en 2008 – la Cour avait condamné l’État français pour violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme sur la liberté d’expression. Elle avait estimé la condamnation disproportionnée au regard du but visé (la protection du Président de la République), et “non nécessaire dans une société démocratique”. L’affaire avait donné lieu à l’abrogation du délit en question, auparavant réprimé par l’article 26 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Pour l’avocat de Valérie Minet, il y a dans le placement en garde à vue et la poursuite pour “outrage” une “conjonction d’éléments qui touche au scandale”. À l’issue de sa plaidoirie, il a donc demandé au ministère public de “joindre au fond, mais aussi de [se] prononcer sur l’ensemble des nullités”. Une demande appuyée par le témoignage de la prévenue : “C’est une procédure qui m’a marquée. Elle m’a fait passer pour quelqu’un de méprisable et de condamnable avant même de passer à la barre”, a-t-elle expliqué.

C’est néanmoins logiquement que le tribunal correctionnel a rendu un jugement en faveur de l’annulation de la procédure : “l’article 48 de la loi de 1881 prévoit que, pour que l’action publique puisse être exercée, il doit y avoir une plainte de la personne injuriée. La victime, Emmanuel Macron, n’a pas déposé plainte, et le sous-préfet ne pouvait pas avoir la qualité de victime. En conséquence, le tribunal n’a pas été valablement saisi. Nous ne pouvons pas rendre une décision sur le fond, l’affaire est terminée”.

La salle est debout. Des bravos fusent, les chants reprennent. Mais un nouveau combat commence.

“La plainte est prête”

Pour la défense, le jugement du tribunal n’est qu’une pirouette, un “artefact juridique” dont il s’est servi pour “essayer de limiter les dégâts, et éviter d’éventuelles poursuites pénales”.

“J’ai rarement vu un parquet vouloir à ce point éviter un procès qu’il a lui-même commencé”, a réagit Juan Branco, avant de commenter, à la sortie du tribunal, “Ils avaient lu nos conclusions. Le procureur, sentant le danger venir, a demandé lui-même la nullité. Ce qui n’arrive jamais”. 

Bien que le cas ne soit pas fréquent, il n’est toutefois pas inédit. Si les poursuites auraient manifestement pu être arrêtées après la garde à vue, les erreurs de droit sont fréquentes en matière de presse. Pour Juan Branco, néanmoins persuadé qu’il s’agit d’une “opération ciblée” contre une opposante politique à la réforme des retraites, “la seule question qui reste, c’est s’il s’agit d’un arrangement local, ou s’ils ont eu des instructions plus haut”. 

La réponse arrivera peut-être, puisque, selon l’avocat, “une plainte est prête”, et sera déposée “dans la foulée, contre une demi-douzaine d’individus” impliqués dans la procédure, de l’arrestation de Valérie Minet à sa présentation au tribunal correctionnel de Saint-Omer.


Modification le 13 juillet 2023 : “parquet” a été remplacé par “tribunal” dans la phrase suivante : “c’est néanmoins logiquement que le tribunal correctionnel a rendu un jugement en faveur de l’annulation de la procédure

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