Crédits photo : Foundations World Economic Forum (CC 2.0)

Emmanuel Macron : “Il faudrait qu’à la première infraction, on arrive à sanctionner financièrement et facilement les familles”

Création : 10 juillet 2023

Cet article est une adaptation d’un ancien article rédigé par Clémentine Bos (master droit pénal des affaires, Université de Toulouse)

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay 

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Relectrice : Audrey Darsonville, professeure de droit pénal et sciences criminelles, Université Paris-Nanterre

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani et Loïc Héreng

Source : TF1 Info, 5 juillet 2023

Sanctionner automatiquement la famille d’un délinquant en la privant d’allocations familiales ou d’autres allocations suppose de revoir profondément la législation relative à ces aides, tout en veillant – ce sera le plus difficile – à ne pas enfreindre plusieurs principes constitutionnels comme l’individualisation des peines et la responsabilité du seul fait personnel, qui interdit les punitions collectives.

“Il faudrait qu’à la première infraction, on arrive à sanctionner financièrement et facilement les familles”, a affirmé Emmanuel Macron, après avoir appelé les parents à la “responsabilité” face aux violences urbaines et au constat qu’elles étaient le fait de beaucoup de jeunes, voire de mineurs. 

Le dispositif tel qu’exprimé par le Président de la République consisterait à sanctionner financièrement la famille d’un enfant qui commet un délit. Cela supposerait d’abord d’appréhender l’enfant et éventuellement de le juger s’il répond à certains critères (âge, discernement). Une fois qu’il a été condamné par le tribunal correctionnel, il faudrait que les caisses d’allocations familiales ou tout autre organisme d’aide sociale soient avertis du jugement (ce qui déjà pose un problème d’atteinte à la vie privée), afin que soient stoppées ou diminuées certaines allocations aux parents. En somme, la peine infligée à l’enfant va rejaillir sur la famille. 

Une sanction collective et automatique contraire à la Constitution

Or, les Surligneurs l’avaient démontré à propos d’une promesse électorale d’Eric Zemmour : supprimer les allocations en raison des actes délictueux d’un des enfants, cela revient à punir toute la famille. 

En droit pénal, une peine a uniquement pour vocation de sanctionner un comportement jugé répréhensible par la loi. Elle vise la personne reconnue coupable pour ses actes, et n’a pas pour but de punir aussi les proches. Punir des familles entières au seul motif qu’un des enfants a été condamné pénalement revient à punir des personnes pour des faits qu’elles n’ont pas commis, et donc à condamner des innocents. C’est contraire à l’un des principes fondamentaux du droit pénal, à savoir la responsabilité du seul fait personnel. Issu des articles 8 et 9, Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ce principe se résume simplement : “nul n’est punissable que de son propre fait”. Parce que les sanctions pénales visent un comportement personnel réprimé par la loi, elles ne peuvent être prononcées qu’à l’encontre de celui qui s’est rendu coupable de ce comportement.

Emmanuel Macron semble aussi vouloir appliquer automatiquement cette sanction, chaque fois qu’un enfant est reconnu coupable. Or c’est contraire à un autre principe, celui de l’individualisation des peines (article 8, Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) : chaque punition doit pouvoir être adaptée par le juge au cas par cas, en fonction de l’affaire jugée.

Contraire à la logique actuelle des allocations

Les allocations familiales, comme bien d’autres aides sociales, sont fondées sur un principe de solidarité nationale, et n’ont pas vocation, en l’état actuel du droit, à être conditionnées au bon comportement des enfants. Elles reposent sur des critères légaux tels que la résidence en France et la garde effective de l’enfant : elles bénéficient à celui des parents qui en assume la charge effective et permanente, indépendamment du reste. Cela signifie à l’inverse que la condamnation d’un enfant à de l’emprisonnement ferme sans aucun aménagement, pourrait seulement justifier, à la limite, une diminution des allocations familiales le temps de l’exécution de la peine, puisque cet enfant ne serait plus sous la garde effective de ses parents. 

Ce durcissement des règles ne viserait que les comportements futurs, pas les saccages passés

Enfin, et en tout état de cause, cette réforme ne pourrait s’appliquer aux infractions commises avant qu’elle n’entre en vigueur. En matière de sanctions, pénales ou administratives, le principe constitutionnel de non-rétroactivité veut qu’un comportement ne peut être sanctionné qu’au vu du droit existant au moment où il se produit. 

La demande d’Emmanuel Macron supposerait de revoir fondamentalement l’esprit et la finalité des allocations familiales notamment, pour pouvoir les lier au comportement des enfants. Le tout, sans enfreindre les principes constitutionnels cités plus haut. Pas simple.

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