Constitutionnalisation de l’IVG : la liberté à y recourir sera t-elle irréversible ?

Crédits photo : Jeanne Menjoulet, CC 2.0
Création : 24 janvier 2024

Republication d’un article du 3 novembre 2023.

Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public

Relecteur : Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public, Université de Poitiers 

Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani

Légalisée en 1975 par la Loi Veil, la liberté de recourir à l’IVG bénéficiera d’une protection renforcée si la révision de la Constitution arrive à son terme, sans pour autant devenir intangible.

Ce mercredi 24 janvier, le projet de loi visant à intégrer dans la Constitution la liberté de recourir à l’IVG est débattu à l’Assemblée nationale. A l’automne dernier, Emmanuel Macron avait déclaré que cette révision de la Constitution rendrait le droit de recourir à l’avortement irréversible. Mais est-ce vraiment le cas ?

COMMENT LE DROIT À L’AVORTEMENT SERA-T-IL CONSTITUTIONNALISÉ ? 

La Constitution française ne peut être révisée que dans le respect d’une procédure fixée à l’article 89. Comme pour une loi ordinaire, le projet (s’il émane de l’exécutif) ou la proposition (si elle émane du Parlement) de révision doit être voté en des termes identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat.

Ensuite, et c’est le chemin que semble choisir le Président de la République, le recours au référendum n’est pas obligatoire si l’exécutif est l’initiateur de la révision. Dans une telle hypothèse, les députés et les sénateurs, réunis en Congrès à Versailles, doivent approuver à une majorité des trois cinquièmes le projet de révision précédemment voté séparément par chacune des chambres. C’est de cette façon qu’a été adoptée la dernière révision constitutionnelle, entrée en vigueur en 2008 dans l’optique de moderniser le fonctionnement de la Ve République.

RESTE QUE LA CONSTITUTION N’EST PAS UN TEXTE IMMUABLE

Bien que la Constitution soit un texte important, son contenu peut être modifié. Par conséquent, si la liberté de recourir à l’IVG peut y être intégrée, elle peut très bien en être retirée par la même procédure de révision que nous venons de décrire. La procédure étant plus lourde que pour l’adoption d’une loi ordinaire ou d’un règlement, elle implique l’existence d’un très large consensus au sein de la société. Imaginons que, dans les années à venir, une majorité très conservatrice sur les questions d’avortement envisage de “déconstitutionaliser” l’IVG. Il lui suffira d’obtenir une majorité suffisante à l’Assemblée nationale, au Sénat puis au Congrès ou par référendum pour défaire ce qui aura été fait. Ainsi, rien ou presque n’est juridiquement intangible en France.

LE DEGRÉ DE PROTECTION DÉPENDRA DE LA LOI

À ce stade, le projet de révision prévoit que la liberté de recourir à l’IVG sera intégrée à la Constitution en son article 34 comme suit : “la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme, qui lui est garantie, d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse.” Il reviendra donc au législateur de fixer les modalités d’exercice de cette liberté. Si tel est son souhait, le législateur pourrait donc limiter la liberté de recourir à l’IVG, et ce, sans porter atteinte à la Constitution dès lors que cette liberté n’est pas totalement dépourvue de garanties. L’accès à l’IVG, bien qu’inscrit dans la Constitution, s’en trouverait donc restreint dans les faits.

UNE PROTECTION POSSIBLE AU SEIN DU CONSEIL DE L’EUROPE ?

Dans une certaine mesure, le droit de recourir à l’IVG pourrait être protégé par la Cour européenne des droits de l’Homme (Cour EDH). Si tous les États membres du Conseil de l’Europe inscrivaient le droit à l’IVG dans leur Constitution, on pourrait imaginer que la Cour EDH décide de protéger ce droit, considérant qu’il fait désormais suffisamment consensus. La France ne pourrait, alors, déconstitutionnaliser l’IVG sans méconnaître ses engagements internationaux. Sauf que la question ne se pose pas à l’heure actuelle, la Cour EDH considérant que les États soumis à sa juridiction ont des législations bien trop disparates pour protéger ce droit.

En 2020, la Pologne a ainsi pu, sans prendre le risque de se mettre en contradiction avec la jurisprudence de la Cour EDH, réduire drastiquement les conditions de recours à l’IVG.

En tout état de cause, même si la Cour EDH se décidait à protéger, un jour, la liberté de recourir à l’IVG, elle n’entrerait pas dans le détail du nombre de semaines ou même des motifs pouvant justifier son recours car cela n’est pas de son ressort.

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