Brexit : La Cour de justice de l’Union européenne permet au Royaume-Uni de renoncer au Brexit et de rester dans l’Union

Création : 11 décembre 2018
Dernière modification : 17 juin 2022

Autrice : Emmanuelle Saulnier-Cassia, professeure de droit public, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 10 décembre 2018, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) réunie exceptionnellement en Assemblée plénière, c’est-à-dire dans sa formation la plus solennelle, a jugé que le Royaume-Uni pouvait encore rester dans l’Union. 

Une question posée à la Cour de justice par une juridiction écossaise pour interpréter l’article 50 du Traité sur l’Union européenne (TUE)

La Cour de justice de l’Union européenne était saisie par une juridiction écossaise (la Court of Session d’Ecosse) d’une question préjudicielle, qui est une procédure qui permet à un juge national de demander à la CJUE d’interpréter ou d’apprécier la validité d’une norme européenne (issue du traité ou de la législation européenne) pour l’aider à régler un litige porté devant elle. 

La Court of Session écossaise avait elle-même été saisie par sept requérants (des parlementaires britanniques, écossais et européens) qui lui demandaient si, quand et comment la notification de l’intention de se retirer qui a été envoyée par le gouvernement britannique le 29 mars 2017 pouvait être unilatéralement révoquée (c’est-à-dire supprimée). Pour le savoir, il devrait suffire de regarder l’article 50 du Traité sur l’Union européenne, qui prévoit la procédure de retrait de l’Union. Mais cet article n’est pas explicite sur ce point. Il devait donc nécessairement être interprété par la CJUE pour permettre à la juridiction nationale ayant un doute de statuer. La réponse de la Cour permettait en outre « de clarifier les options dont disposeront » les députés britanniques, à savoir en ajoutant une troisième option : retrait sans accord, retrait avec accord, maintien dans l’Union.

La question était évidemment urgente, puisqu’une fois l’accord négocié entre les européens et le gouvernement britannique, il devait être débattu au Parlement britannique et le vote, initialement fixé au mardi 11 décembre (v. l’article d’Aurélien Antoine), a été reporté dans la journée du 10 décembre. Or la Cour statue dans un délai moyen de 15 mois en matière préjudicielle. Le président de la Cour avait accepté de statuer selon la procédure accélérée pour que la décision soit rendue avant le vote à la Chambre des Communes. Le gouvernement de Theresa May a parallèlement essayé d’empêcher que la question préjudicielle soit posée à la CJUE, considérant que la Cour n’était pas compétente car la question n’était qu’ « hypothétique et académique », ce que n’a pas suivi la Cour Suprême britannique saisie en ce sens le 20 novembre 2018. 

SELON LA COUR DE JUSTICE, L’ARTICLE 50 PERMET AU ROYAUME-UNI DE REVENIR UNILATÉRALEMENT SUR SA DECISION DE SE RETIRER DE L’UNION EUROPÉENNE

L’avocat général avait déjà estimé que la notification de l’intention de se retirer envoyée au Conseil européen en application de l’article 50 TUE n’empêchait pas l’Etat auteur de la notification de revenir sur cette intention (en droit : « révoquer »). 

La CJUE a suivi ses conclusions (ce qu’elle n’est pas obligée de faire) ce lundi 10 décembre, en étant même encore plus souple dans les conditions. 

Elle juge que tant que l’accord de retrait n’est pas en vigueur ou que le délai des deux ans de négociations n’est pas expiré (ce qui sera le cas le 29 mars 2019 à minuit, sauf décision de prolonger les deux ans), l’article 50 permet à l’Etat membre qui a notifié son intention de se retirer, de la « révoquer unilatéralement, de manière univoque et inconditionnelle », « conformément à ses règles constitutionnelles », en adressant simplement un écrit en ce sens au Conseil européen. 

Cette décision est logique au regard des termes mêmes de l’article 50, §1 qui font référence non pas à une décision de se retirer mais à la notification d’une « intention » qui est « par nature, ni définitive ni irrévocable » (pt 49 de l’arrêt). 

LA RÉVOCATION EST UN DROIT SOUVERAIN : LE ROYAUME-UNI, EN RESPECTANT SES RÈGLES CONSTITUTIONNELLES, PEUT REVENIR SUR LE BREXIT, LES AUTRES ETATS MEMBRES NE PEUVENT S’Y OPPOSER

La Commission et le Conseil européen avaient fait valoir que la révocation était possible mais ne pouvait être décidée unilatéralement par le Royaume-Uni et devait être soumise à l’unanimité du Conseil européen, notamment dans l’idée d’éviter que des Etats aient une pratique abusive de l’article 50 TUE, en décidant de révoquer leur intention de se retirer en cas de négociations qui s’avéreraient finalement trop désavantageuses par rapport à un maintien dans l’Union européenne. 

La Cour ne retient aucune condition pour la mise en œuvre de la révocation. La seule prescription est le respect des règles constitutionnelles nationales, ce qui offre un parallélisme avec le début de la procédure qui est explicitement énoncé à l’article 50 § 1.

Comme son avocat général, la Cour s’appuie sur le droit international général (Convention de Vienne sur le droit des traités) pour appuyer son interprétation de l’article 50 TUE qui n’envisage pas explicitement la possibilité pour un Etat de changer d’avis après avoir lancé la procédure de retrait. Mais contrairement à lui, elle n’impose pas de condition. 

Pour la Cour, la révocation de l’intention de se retirer relève d’un « droit souverain » de l’Etat de conserver son « statut d’Etat membre de l’Union » (voir le point 59 de la décision). Elle appuie son raisonnement sur la nécessité d’empêcher qu’un Etat soit finalement contraint de se retirer « contre sa volonté », puisqu’une telle situation pourrait résulter d’un nouveau vote populaire en faveur du maintien. 

CETTE DECISION DE LA COUR DE JUSTICE VA S’IMPOSER AUX BRITANNIQUES 

 La balle est désormais dans le camp à la fois de la Court of Session écossaise, du Parlement de Westminster et du Gouvernement britannique. La Court of Session, qui a posé la question, doit obligatoirement tenir compte de la réponse de la CJUE pour régler son litige au fond. 

Le Parlement doit le cas échéant permettre de donner effet à cette interprétation de la Cour en proposant par exemple une motion laissant la possibilité d’un maintien dans l’Union européenne, en demandant au Gouvernement d’organiser un second référendum (v. l’article d’Aurélien Antoine). 

Enfin, le Gouvernement britannique ne peut pas faire obstacle à l’interprétation de l’arrêt de la Cour de justice, c’est-à-dire s’opposer à une demande qui respecterait ses règles constitutionnelles, permettant concrètement le maintien dans l’Union européenne. Un second référendum qui a longtemps été considéré comme politiquement improbable, n’a jamais été aussi juridiquement concrétisable. 

Et si l’on voit encore plus loin, dans le cas d’une décision souveraine du Royaume-Uni de se maintenir dans l’Union, il y a un petit paragraphe (pt 74) qui n’est pas anodin dans l’arrêt de la Cour et essaye de préserver l’avenir : la révocation de la notification qui doit être adressée par écrit au Conseil européen doit être « univoque et inconditionnelle », c’est-à-dire qu’elle doit avoir « pour objet de confirmer l’appartenance de l’Etat membre concerné à l’Union dans des termes inchangés quant à son statut d’Etat membre »… Or en 2016, le Royaume-Uni avait négocié un statut privilégié au sein de l’Union. Ce statut pourrait-il encore s’appliquer si le Royaume-Uni, finalement, restait dans l’Union ?

Une erreur dans ce contenu ? Vous souhaitez soumettre une information à vérifier ? Faites-le nous savoir en utilisant notre formulaire en ligne. Retrouvez notre politique de correction et de soumission d'informations sur la page Notre méthode.